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Le journal d’une femme de chambre : bourgeois, ladres et méchants

  • Écrit par : Christian Kazandjian

journal d'une femme de chambrePar Christian Kazandjian - Lagrandeparade.fr/ Avec "Le journal d’une femme de chambre", Octave Mirbeau lève le voile sur les turpitudes de la bourgeoisie du XIXe siècle. Avec de forts échos dans les sociétés d’aujourd’hui.
Une femme, du fond de la salle, rejoint la scène : image des pérégrinations d’une servante qui change de place au gré des humeurs et aigreurs des maîtres. Célestine découvre, après des dizaines d’autres demeures bourgeoises, le domaine des Lanlaire couple cupide, vil et madré. Elle se remémore son dernier emploi chez un vieillard fétichiste amoureux de ses bottines. Elle découvre bientôt d’autres turpitudes que ses nouveaux patrons ne cherchent même pas à cacher : elle n’est, après tout, qu’une domestique soumise aux caprices des propriétaires, une quasi esclave. Elle cause avec le reste de la domesticité, véhicule les cancans, repousse les avances de l’époux volage, pantin ridicule aux mains de la mégère qui gère la maison. Rien qu’elle ne connaisse déjà et dont elle se soit accommodée avec le temps. Survient alors une attirance inconcevable au départ pour le chauffeur Joseph, admirateur des politiciens d’extrême droite, antirépublicains, calotins et antisémites, dont il se fait un propagandiste. Faisant écho aux Drumont, idéologue de la race, Jules Guérin, directeur de la Ligue antisémite, vomit le juif Dreyfus et le traître Zola. Célestine, lasse de n’être qu’un élément de plus dans le décor, se laisse emporter par le rêve d’émancipation de Joseph qu’elle soupçonne pourtant du viol et du meurtre d’une enfant. Elle le suit a à Cherbourg dans le bistrot sur le port qu’il achète après avoir volé l’argenterie des Lanlaire. Là, au milieu des militaires et des marins, elle est la fleur qui égaie le lieu et les pousse à boire, nouvel objet dédié au plaisir des hommes. Mais elle est également la patronne et à ce titre, oubliant ses antécédents, elle se sent en droit de fustiger la paresse des servantes, de les soupçonner de menus larcins. C’est que la voilà devenue une bourgeoise, certes de basse extraction, mais avec un solide compte en banque.
Octave Mirbeau a écrit une violente satire des mœurs de la bourgeoisie de son temps, à l’époque d’un regain d’antisémitisme et d’anti-républicanisme entourant l’affaire Dreyfus. Il décrit l’enfer social que vivent les gens du peuple à l’heure de l’essor du capitalisme. L’argent, le pouvoir deviennent les ressorts de la société et l’individualisme le ferment, n’épargnant pas même les milieux populaires, qu’incarnent Joseph et Célestine. La mise en scène et le décor le suggèrent quand, après avoir retiré la nappe brodée d’une table bourgeoise pour en faire celle d’un estaminet, il suffit de rajouter un collier à la parure de la servante pour la transformer en patronne. Quant aux femmes, elles restent confinées aux marges, sauf à accéder au pouvoir. Célestine (Mirbeau a-t-il choisi à dessein ce prénom qui renvoie à la maquerelle de la pièce de Rojas ?) avoue, derrière la malle redressée en forme de banc des accusés, qu’elle est prête à tuer par amour pour Joseph : l’amour, cet autre moteur des rapports sociaux avec l’argent et le pouvoir.
L’auteur gratte les plaies jusqu’à la nausée, sans négliger la griffe de l’humour. L’adaptation de Michel Monnereau, la belle performance de Catherine Artigala qui endosse tous les rôles sans outrance, restituent la force du roman dans ce qu’il projette de lumière sur notre époque. Car, en définitive, les choses n’ont pas fondamentalement changé, sauf à s’exacerber.

Le journal d’une femme de chambre d’Octave Mirbeau
Adaptation : Michel Monnereau
Mise en scène : Jean-Pierre Hané

Dates et lieux des représentations : 
- Jusqu’au 1er juillet 2018 au théâtre Le Funambule paris 18e (01.42.23.88.83.). www.funambule-montmartre.com


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