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Begin the Beguine : de l'insoutenable légèreté de l'être selon John Cassavetes et Jan Lauwers

  • Écrit par : Julie Cadilhac

GitoPar Julie Cadilhac - Lagrandeparade.fr/ Un appartement au bout d’une route côtière. Deux hommes vieillissants, Gito Spaiano et Morris Wine, amis de longue date, aussi différents que complices. Ils ont échoué là. Pourquoi? John Cassavetes ne le précise pas, volontairement. Il semble moins s’intéresser au chemin parcouru qu’à cet instantané-là, ce moment où ces deux êtres envisagent sans doute un nouveau départ, alors qu’ils sont clairement à bout de souffle. Pourtant, ils espèrent ici se sentir enfin libres de toute convention sociale, de tout sentiment amoureux castrateur, de toute règle. Donc heureux? …Commencent alors un ballet de filles de joie qui ne fait , au final, qu’accentuer le mal-être, les doutes et les regrets de chacun des deux protagonistes. Peut-on fuir ses démons? Se connaît-on vraiment?

[bt_quote style="default" width="0"] Je déteste les gens qui mettent la vie en citations.[/bt_quote]

Tandis que l’un souhaite un « arc-en-ciel Â», se dit que « l’amour est au moins une porte entrouverte Â»,  l’autre se sent « déjà mort Â», n’arrive pas à quitter son état dépressif et a «  ce besoin de retrouver une partie de (lui)-même Â». En face d’eux, diverses filles qui apportent leur jeunesse ( « des gamines Â»), leur expérience ( « des trentenaires Â») ou leur exotisme ( « Kiko la japonaise ou encore « Dana Â») ; objets à utilisation éphémère et dont les bienfaits ne sont pas évidents car c’est peut-être quand on fait semblant qu’on joue le plus gros. Semblant de s’amuser, d’être léger alors que la réalité pèse comme un couvercle. Les rôles de Wine et de Spaiano s’inversent peu à peu dans une logique humaine implacable. Celui qui aspirait à ce que les « putes Â» lui « permettent d’être égoïste Â» bascule peu à peu dans un sentimentalisme nostalgique tandis que Gito goûte de plus en plus à cette licence déjantée…

[bt_quote style="default" width="0"]L’amour est la plus terrifiante des douleurs.[/bt_quote]

La dernière version de Begin the Beguine date de 1987 ; John Cassavetes ( décédé un an et demi après) l’avait écrite pour ses deux acteurs fétiches : Ben Gazera et Peter Falk. Elle ne sera jamais jouée ni adaptée au cinéma. «  Le spectacle Begin the Beguine est le résultat d'une collaboration exceptionnelle entre Faces Distribution Company (la fondation qui gère les droits de l'artiste américain) et la Needcompany. L'éditeur allemand S. Fischer Verlag a demandé à Jan Lauwers de se charger de la mise en scène de ce chef-d'oeuvre 25 ans plus tard. La première version a été produite en 2014 en collaboration avec le Burgtheater de Vienne. hTh - CDN de Montpellier a invité Jan Lauwers à réaliser une deuxième version avec les acteurs espagnols de la troupe permanente. Gonzalo Cunill et Juan Navarro sont confrontés à Romy Louise Lauwers et Inge Van Bruystegem, membres de la Needcompany. Â»

[bt_quote style="default" width="0"]J’étais trop occupé à penser à moi.[/bt_quote]

Deux zones, de chaque côté du plateau, sont investies régulièrement par les comédiennes pour vêtir un nouveau costume et modifier leur maquillage. Au centre, deux chaises et puis…trois fois rien. Derrière, un rideau, une zone hors-champ d’abord montrée au travers d’une projection, puis exposée ensuite au regard du public. On notera ici que les séquences vidéos nous semblent être la proposition la moins pertinente de ce travail par ailleurs excellent. Elles sont redondantes avec ce qui se trame sous nos yeux ; inutile de suggérer les ébats en coulisses; tout sur scène convoque cette sexualité à fleur de peau, cet appel de la chair qui, pourtant, s’étiole dans les conversations-soliloques où la complicité des couples formés peine toujours à se faire, vice originel, tragédie inévitable. Les hommes échangent entre eux en espagnol, la langue de la complicité. Gonzalo Cunill et Juan Navarro forment un duo convaincant. Les comédiennes ( Romy Louise Lauwers et Inge Van Bruystegem) sont quant à elles remarquables de justesse : la sincérité et la fragilité de leurs personnages sont touchantes. Elles apportent une fraîcheur et une énergie vibrante qui répondent en écho inversé à la vision désabusée de leurs clients. Elles insufflent un érotisme troublant avec un je-ne-sais-quoi délicieux de malgré elles. Dans cette « obscurité Â», elles sont lumineuses…peut-être parce qu’elles ne peuvent pas se permettre le luxe des crises existentielles.  Après une entrée en scène décomplexée qui plonge immédiatement le spectateur dans une ambiance de garçonnière crapuleuse, le texte de Cassavetes séduit immédiatement parce qu’il crée des caractères étonnants. 

[bt_quote style="default" width="0"] Déçu. Pas par elles. Par moi.[/bt_quote]

Dans Beguin the Beguine, les mots crus roulent une pelle magistrale à une poésie du désespoir et de l'absurde dont le chant n’est connu que par ceux qui ont déjà des heures de vol… 

[bt_quote style="default" width="0"]L’amour, ça n’existe pas. [/bt_quote]

Beguin the Beguine

Texte : John Cassavetes

Mise en scène: Jan Lauwers

Avec Inge Van Bruystegem, Romy Louise Lauwers, Gonzalo Cunill, Juan Navarro

Assistante à la mise en scène et dramaturgie : Elke Janssens

Traduction en français : Dominique Hollier 

Traduction en espagnol : Antonio Fernandez Lera

Production déléguée : Humain trop humain - CDN Montpellier 

Recréation d’une production Burgtheater, Vienne & Needcompany, mars 2014

Droits de représentation : S. Fischer Verlag GmbH, Frankfurt am Main, Germany

Durée : 2h05

Dates et lieux des représentations : 

- Du 26 janvier au 3 février 2017 à Humain trop humain , Montpellier ( 34)

- 16 mai 2017 au Cratère d'Alès ( 30)

 


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