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Marie Molliens : "Avec la DévORée, je cherche à sublimer la dimension tauromachique du cirque."

  • Écrit par : Julie Cadilhac

DevoreePar Julie Cadilhac - Lagrandeparade.fr/ Pour son spectacle "La DévORée", Marie Molliens s'est inspirée de la pièce de Kleist : Penthésilée. Terrible parabole des affres de la passion dans ce qu’elle peut avoir de cruel et de violent, ce récit donne l’occasion également à la talentueuse artiste circassienne de proposer une réflexion pertinente sur son statut de femme de cirque : qui est, en réalité, cette attirante créature dont les prouesses laissent coi d’admiration? Sirène envoûtante sous les étoiles du chapiteau et que l’on imagine forte et invincible, mystérieuse et inaccessible, omnipotente? Nous avons découvert cette superbe création au Printemps des comédiens en juin 2017 ( Notre critique ici : La Dévorée : un duellum mythique et circassien sous une pluie d’or et de sang ) ...et, totalement sous le charme, nous avons décidé de poser quelques questions à sa démiurge...

Quand on découvre le titre de cette nouvelle création, on ne peut s’empêcher de penser à la précédente qui se nommait « Morsure Â»â€¦Quel lien faîtes-vous entre ces deux spectacles?

Le « cirque- théâtre Â» que je fabrique est pour moi, une volonté de parler d’un intime qui n’est pas étroitement anecdotique ou égotique mais universel. Je tente d’élaborer une pensée, des images, un mouvement pour nommer ce qui se trame au fond de nous. Je m’efforce de démêler la fragile articulation entre la chair de son propre corps et celle du personnage, en étant dans l’exactitude de l’autopsie des âmes et des sentiments. Incarner, disséquer, pour aller vers le sensible. Avec ce spectacle je poursuis le travail d’exploration intérieure autour de l’Intime commencé avec Morsure. Je vais cureter encore plus profond. J’essaie de dépasser la chair pour atteindre la pulsation de l’organe.

[bt_quote style="default" width="0"]Avec ce spectacle je poursuis le travail d’exploration intérieure autour de l’Intime commencé avec Morsure. [/bt_quote]

Il semble que le verbe  « dévorer Â» indique une étape supérieure dans le tragique et la douleur en comparaison de « mordre Â»â€¦Cette création sera-t-elle en quelque sorte plus noire? 

Elle n’est pas plus noire dans sa réception directe. Morsure, pour moi, nous dirigeait vers un endroit plus sombre. D’un bout à l’autre du spectacle , on emmenait le spectateur vers un sentiment unique. Dans la DévORée, au contraire, je joue constamment sur l’instabilité des situations et l’ambiguïté des personnages. La sensation éprouvée est ainsi indirecte, elle s’infiltre subrepticement à travers le corps du spectateur. Son sens fuit en bruissant, d’une scène à l’autre, et parait s’immobiliser que sous forme d’énigme. Les métaphores s’enchainent, dans un mouvement incessant, pour susciter l’interrogation du spectateur.

Laure[bt_quote style="default" width="0" author="Antonin Artaud"]Une pièce de théâtre bouscule le repos des sens, libère l’inconscient comprimé, pousse une sorte de révolte virtuelle…impose aux collectivités rassemblées une attitude héroïque et difficile.[/bt_quote]

Avec la DévORée, je cherche à sublimer la dimension tauromachique du cirque, sa quête de vérité, la violence crue du partage du sort de l’artiste circassien pour émettre un doute sur notre confiance par rapport à la réalité et éveiller une réflexion.

Vous affirmez poursuivre une réflexion sur la féminité…Peut-on aller jusqu'à dire que vous développez aussi peu à peu une "réflexion féministe circassienne"? Ou bien, dans ce travail, la féminité ne cherche ni le combat ni l'envie de mettre le doigt sur une réalité mais se présente seulement comme un "objet pas encore bien identifié", un "monstre" à qualifier et à définir au travers du cirque...
A vrai dire le coté féministe de mon travail n’est pas tout à fait conscient. Je développe au départ des sensations qui me sont propres. Ainsi en tant que femme et circassienne, la réflexion s’oriente d’elle même de façon intrinsèque. Je cherche autour de tous mes empêchements à vivre : l’instant d’irréversible, l’acharnement de la fatalité, l’abandon à l’instant, sa puissance et la sensation éprouvée, les ambivalences intérieures, la force du sentiment amoureux. En tant qu’auteur et metteur en scène « femme Â», je place aussi mon point de vue là où un homme le ferait différemment.

[bt_quote style="default" width="0"]Je cherche autour de tous mes empêchements à vivre : l’instant d’irréversible, l’acharnement de la fatalité, l’abandon à l’instant, sa puissance et la sensation éprouvée, les ambivalences intérieures, la force du sentiment amoureux. [/bt_quote]

Quel a été le déclencheur de ce désir d’évoquer la Femme de cirque? Une prise de conscience brutale des limites d’une wonderwoman des portés acrobatiques? Des lectures?

Le déclencheur est véritablement une commande de la SACD. En effet, on m’a offert une carte blanche dans le cadre d’une conférence sur les « Femmes de cirque Â», organisée conjointement par l’université de Montpellier, la SACD et le PNC-LR. Là, j’ai commencé à réfléchir sur ma vision de la femme de cirque et j’ai rencontré Penthésilée, je les ai trouvées immédiatement très proches !

D’ailleurs, à partir de quelles sources ( littéraires, sociologiques, cinématographiques, picturales) avez-vous construit « La dévorée Â»?

Les sources d’inspirations sont essentiellement théâtrales. Tout d’abord, évidemment, Penthésilée, la pièce de Kleist, le mythe que l’on suit en filigrane, une histoire de passion dévorante. Mais surtout la vision théâtrale d’Antonin Artaud, Le théâtre de la cruauté et le travail organique de celui qui me semble être son disciple actuel : le metteur en scène italien Roméo Castellucci. Les textes sur l’abandon dans todo el cielo sobre la tierra, le syndrome de Wendy de la performeuse espagnole Angelica Liddell, anti-conforme et misanthrope cynique. Le sacrifice de l’artiste, autour des textes de J.Starobinski (portrait de l’artiste en saltimbanque) et de Rilke. La sensation et la représentation, autour de la pensée de Deleuze.

D'un point de vue esthétique, je citerai : les Cariatides d’ Agnès Varda, les tableaux de Francis Bacon - le corps du désir comme une viande crue -et enfin Gustave Klimt et la femme iconique La Danaé, Judith ou Pallas Athéné.

Le cinéma également m'a inspirée: le Satyricon de F.Fellini, Pasolini dans son ensemble, Blue Velvet de D.Lynch, Only Lovers left alive de Jim Jarmusch, With God de Kornel Mundruczo, Amours chiennes d'Alejandro González Iñárritu, La grande Belezza de Paolo Sorrentino.

DevoreeOn y croise Achille et la reine des Amazones Penthésilée…la mythologie grecque et ses héros emblématiques vous ont-ils inspirée tout particulièrement?

Ce qui m’intéressait c’était de travailler sur la puissance nucléaire de la tragédie et de la rapprocher à l’onde nerveuse du geste circassien. Il y a une histoire de fatalité chez les deux et leurs héros sont portés par le même orgueil…

« Vulnérable, lointaine et si proche, féminité exposée, attirante et inaccessible Â»â€¦voilà comment vous définissez la femme de cirque. Comment, concrètement, avez-vous choisi d’exprimer les couleurs de cette figure qui subjugue par ses performances extraordinaires, fléchit sans doute de ses douleurs musculaires aussi bien qu’intestines dans l’intimité, se métamorphose pour envoûter tout en effrayant par sa puissance « agressive et dangereuse Â»?

Puiser sa force dans ses propres images brisées. J’étais dans l’envie d’une démarche iconoclaste. Je souhaitais faire une véritable transfiguration de ces images de cirque, ancrées dans la conscience collective, transformer quelque chose qui, avant, avait une forme et qui, maintenant, en prend une autre, avoir le désir intense de figure à hacher. Ici celle de la femme de cirque et particulièrement celle de la trapéziste. Je voulais décrocher ces belles images de cirque, parce que, pour moi, c’est en les saluant pour toujours, et en leur faisant adieu à l’avance qu’elles pourront continuer à vivre en secret, et à leur insu, nourrir le corps du cirque resté là pour être vu de tous.

[bt_quote style="default" width="0"]Puiser sa force dans ses propres images brisées.[/bt_quote]

Pourriez-vous nous parler des artistes qui sont présents sur la piste à vos côtés? Quelles sont leurs spécificités? Sont-ce des membres à part entière de la compagnie? des invités?

J’ai invité les 4 artistes de cirque à me rejoindre sur cette création. Je cherchais à la fois des artistes de cirque avec une grande maturité dans leur discipline mais aussi avec une facilité de jeu théâtrale, indispensable à la manière dont était pensé le spectacle. Colline Caen, voltigeuse au cadre aérien et son partenaire Serge Lazar , porteur au cadre aérien, Justine Bernachon, trapéziste, et Robin Auneau, houla hop. Les musiciens par contre sont dans la compagnie depuis plusieurs spectacles. Françoise Pierret : Chanteuse, guitariste ; Francis Perdreau : Contrebassiste ; Christian Millanvois : Batteur percussionniste.

Enfin…diriez-vous que, comme dans « Morsure Â», de par les jeux de lumière, de scénographie, de costumes et de mise en scène, vous poursuivez cette façon qu’a Marie Molliens de nous immerger dans cette « obscure clarté Â» des étoiles du cirque?
Je pense que cela fait parti effectivement du travail de Rasposo depuis un certain nombre d’années, de proposer une expérience où l’esthétique et le propos sont aussi importants l’un que l’autre. J’aime y révéler une part d’ombre, de sauvagerie et de violence.

La Dévorée
Ecriture, mise en scène : Marie Molliens

Regard chorégraphique : Milan Hérich

Collaborations artistiques : Fanny Molliens, Julien Scholl, Aline Reviriaud

Création musicale : Benoît Keller, Françoise Pierret, Christian Millanvois

Création sonore : Arnaud Gallée, Didier Préaudat

Création lumière : Thierry Azoulay

Création costume : Solenne Capmas

Chef monteur chapiteau : Bernard Bonin

Production, diffusion : Hélène Jarry, Marion Villar

Artistes de cirque : Robin Auneau, Justine Bernachon, Colline Caen, Serge Lazar, Marie Molliens

Musiciens : Christian Millanvois, Francis Perdreau, Françoise Pierret

Régisseurs : Thierry Azoulay, Bernard Bonin, Marion Forêt, G. Molé ou P. Lelièvre

Photo : Laure Villain
Contributeur en cirque d'audace : Guy Périlhou

Dates et lieux des représentations:
- Du 2 au 12 juin 2017 au Printemps des Comédiens ( 34)
- Du 10 au 18 juillet 2017 à Villeneuve les Avignon ( 84) - Villeneuve en Scène
- 26,27 et 29 juillet 2017 au Festival Del Catet ( 34) - Domaine de Ravanès - Thézan-les-Béziers
- 27, 28, 29 septembre 2017 : Espace des Arts, Scène Nationale de Chalon-sur-Saône
- 19, 20, 21 octobre 2017 : Furies, Pôle National Cirque, Chalons-en-Champagne
- 8 et 9 décembre 2017 : Temps de cirque dans l'Aude, Lagrasse avec la Verrerie d'Alès
- 15, 16, 17 décembre 2017 : Le Sillon, Clermont-l'Héault, avec la Verrerie d'Alès
- 8 et 9 mars 2018 : La Jeliote, Scène conventionnée Oloron-Sainte-Marie
- 29, 30 et 31 mars 2018 : Théâtre de Bourg-en-Bresse, Scène conventionnée

2020:

- DU 27 AU 29 FÉVRIER 2020 - PERPIGNAN (66100) - Salle du Carrée - Théâtre de l'Archipel

- DU 30 AVRIL AU 3 MAI 2020 - VILLARS-FONTAINE (21700)- La Karrière dans le cadre du Festival Prise de Cirque / Cirq'ônflex en collaboration avec la Maison Jacques Copeau

Crédit-photo : Laure Villain

Le site de la Compagnie Rasposo


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