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peut-être pas immortelle : Frédéric Boyer, amour toujours…

  • Écrit par : Serge Bressan

Frédéric BoyerPar Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / En bord de Méditerranée, dans les vagues de Ramatuelle, un enfant d’une amie risque la noyade. Une femme se précipite pour les sauver. Elle n’y parvient pas ; pis : c’est elle qui meurt, victime d’un arrêt cardiaque. Elle avait 53 ans. Cette femme, dans la force de la cinquantaine, s’appelait Anne Dufourmantelle.

Héroïne de la vie quotidienne, elle était philosophe et psychanalyste, avait publié des textes importants comme « La Femme et le Sacrifice » (2007), « Éloge du risque » (2011), « Intelligence du rêve » (2012), « Puissance de la douceur » (2013) et le posthume « Souviens-toi de ton avenir » (2018). Anne Dufourmantelle était la compagne des jours et des nuits de Frédéric Boyer, écrivain, traducteur et patron de P.O.L. éditeur depuis ce printemps. Il a écrit une trentaine de livres, il vient de publier « peut-être pas immortelle », un livre poids plume (à peine plus de 90 pages très aérées) d’une force et d’une beauté rares.

Dans un court préambule, l’auteur précise : « Trois textes précipités face à une chose monstrueuse, et jetés dans le temps. Ecrits et repris à la hâte en pensant qu’il se pourrait que je n’aie plus rien à dire. Et dans l’écoeurement des paroles de consolation, avec la sensation d’un couteau dans le dos, le sentiment sale de ne pouvoir en supporter davantage »… Un préambule qui s’achève par une citation du poète Stéphane Mallarmé : « Rien n’aura eu lieu que le lieu »… Un petit livre blanc (comme tous ceux publiés depuis plus de trente ans chez P.O.L.) pour une longue lettre à Anne D., un livre en trois poèmes : « peut-être pas immortelle », « Une lettre » et « Les vies »… Trois temps, trois mouvements pour une valse d’amour.
Une catastrophe. Une vie en lambeaux. Des jours et des nuits à jamais interrompus. Maudite vague méditerranéenne. En trois longs poèmes d’une intensité immense, Frédéric Boyer raconte l’amour fou. Fracassé. Anéanti. Dans ses mots, pas la moindre trace de temps, de lieu. Seulement l’éternité, l’universalité… « Je ne sais rien de cette aventure-là / moi survivant devenu / dans combat perdu / toi blottie dans cet immense destin-là / notre devenue / d’un coup ma / vie / seule déracinée / à noircir la lumière que Dieu fait / car tu es et je ne suis pas / tu es où je ne sais pas / es-tu là où tu n’es pas quand je dis / tu es ». Dans ce premier poème, la ponctuation est absente, pour accentuer le fracas, le chaos. Le KO, conséquence de la disparition. Frédéric B. interroge Anne D. sur la beauté de cet autre monde où elle est partie, où elle est arrivée un jour de juillet 2017. Il voudrait savoir à quoi ressemblent les fleurs du paradis. Il voudrait aussi qu’il n’y ait jamais de pluie dans son nouveau monde à elle, qu’elle puisse se reposer dans le noir brillant…
Quelques pages plus tard, un deuxième poème. Comme une conversation entre Frédéric B. et Anne D. Le poète glisse à la philosophe que, certaines fois, il est tenté de la rejoindre. Et d’évoquer cette vie quotidienne, cette vie qui va sans elle : « A ressurgi hier la vieille peur, tu sais, quand je voyais les collines de notre fenêtre (…) Quelqu’un l’aurait-il vue cette vie qui à jamais ne fut et qui serait pourtant ? A l’époque où la terre s’embrasa quand nous étions les plus solitaires des vivants ». Et pour finir, un troisième mouvement. Ouverture sur « Les vies »- dix petites pages sur les autres, sur l’autre. C’est singulier, ça mène au pluriel et à l’universel. Eclats de vie(s). Poésie étourdissante, éblouissante- et, pour terminer, (essayer d’) admettre que la personne tant aimée et disparue n’était « peut-être pas immortelle »…

peut-être pas immortelle
Auteur : Frédéric Boyer
Editions : P.O.L.
Parution : 5 avril 2018
Prix : 9 €


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