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Un autre que moi : de l'ambivalence de l'amour de soi par Véronique Olmi

  • Écrit par : Catherine Verne

Olmi Par Catherine Verne - Lagrandeparade.fr/ Que feriez-vous si quelqu'un surgissait dans votre chambre en vous annonçant être vous, avec quarante ans de plus?

C'est le sujet du roman de Véronique Olmi intitulé "Un autre que moi". Sujet traité comme un dialogue le serait au théâtre, pour que la forme, minimaliste, resserre l'attention -la tension- sur l'inouï et dérangeant face à face. Le décor se borne aux quatre murs d'une chambre d'hôtel anonyme et au mobilier indifférent, et on a envie d'y voir une métaphore de la maison freudienne où le moi n'est désespérément pas maître. Quoi qu'il en soit, nous voilà jetés au coeur du sujet psychique, dans son intériorité somme toute confortable, du moins jusqu'à l'intrusion de son moi. On se situe dans un espace fantasmé, celui de cette intériorité qui tente l'expérience impossible de se retourner en extériorité et en frémit d'effroi plus que de griserie ici ou de coquetterie narcissique. D'ailleurs le héros, sur le point de devenir quadragénaire, se montre d'abord hostile à cette apparition surnaturelle de lui-même plus âgé, il l'estime indésirable et ne s'en cache pas, s'évertuant à s'en dégager aussitôt, comme on se débarrasse d'un convive collant lors d'une soirée mondaine. Mais on n'échappe pas à soi, aussi lui faut-il se regarder en face, à un moment ou un autre. Alors, comme on s'y attend, l'envie le démange de changer son avenir pour le modeler plus à son goût. Car, oui il y a du dégoût à être soi, c'est bien connu, au moins depuis que des esprits avisés, tels celui de Pascal - un de ceux qui ne s'en laissent pas conter s'il en est- a déclaré le soi "haïssable". Serait-on ainsi sans égard ni indulgence pour sa vieille peau si on la croisait alors qu'on est encore jeune soi-même, un soir d'anniversaire comme le héros ici? S'agacerait-on de ce qu'on est devenu, de ce qu'on a raté donc, mais aussi de tous ses choix, irréductibles et nécessaires, parce qu'ils enferment a posteriori la liberté du devenir? Et à qui en vouloir, à qui s'en prendre? A soi? A ... l'autre? Le destin se resserre peu à peu sur le héros comme une fatalité irritante. Il y a chez lui du rebelle après coup, du révolté mou, du si j'avais su j'aurais pas venu boudeur et bougon. Et une sollicitude cependant pour son futur soi le gagne à mesure que ce dernier faiblit en puissance sous ses yeux fraternels. De l'ambivalence de l'amour de soi, ce roman illustre les velleités et la tendresse. On saluera la performance pour la romancière d'avoir prêté sa plume à deux personnages masculins, ces "deux autres qu'elle", et pour l'écrivain d'avoir su confronter les deux faces d'une seule identité, en jonglant avec leurs inexorables différences sur fond de parenté bien singulière. A remarquer que ce qui préoccupe notamment ces mâles en mode introspection, ce sont leurs femmes. Un romancier aurait-il mis en scène un moi quadra et son alter ego octogénaire confondus en conjectures sur les pronostics sportifs du match du soir ou la cylindrée d'une Ducati garée sous la fenêtre? Quoi qu'il en soit, féminine, masculine, on n'en finirait pas de décliner l'altérité et sa propension à l'étrange, voire l'improbable, par où il résiste à tout projet d'appréhension par le moi. C'est tout le charme de l'imaginaire, réservé à l'imaginaire, qui traverse ce roman quand il se propose de convoquer le même et l'autre sur une seule scène. Car il ne s'agit pas d'un autre moi: le titre prévient bien qu'on a affaire, c'est-à-dire qu'on n'aura jamais affaire qu'à un autre "que" moi, le roman illustrant cette distance infranchissable, condition de tout désir, en posant l'autre assis face à soi tel un bel objet de fascination studieuse, tout près de s'évanouir en vérité si on commence un geste pour l'étreindre.

Un autre que moi
Auteur: Véronique Olmi
Editeur: Albi Michel
Parution: 14 janvier 2016
Prix: 15 euros.


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