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Nous étions animales : Pour fêtardes en mal d'icône ou quand Winnie deale Peter Pan

  • Écrit par : Catherine Verne

AnimalesPar Catherine Verne - Lagrandeparade.fr/ Avec sa colocataire américaine Tyler, Laura brûle les nuits de sa jeunesse dans les caves de Manchester, au sens quasi propre du terme, c'est-à-dire cracra. Toutes deux mènent une vie de bâton de chaise, avec lendemains caumateux et bilan de la trentaine à l'horizon. Prise de montées d'inspiration, Laura écrit aussi à ses heures, espérant achever un roman. Le vrai roman de sa vie s'écrit, lui, tout seul dans le flou de ses nuits, d'un trait insaisissable et sans correcteur. C'est qu'il va falloir relever le défi de l'existence, qui ne saurait se résumer à une fête permanente en mode camé.
Une existence de femme, qui s'apprête à épouser un type on ne peut plus clean, du genre qu'on choisit pour rétablir l'équilibre.... un peu comme ces cales supportant justement un bâton de chaise bancal. Une existence sociale, avec un peu plus d'ambition que de passer le reste de ses jours -puisqu'il faut bien que les nuits finissent....- à bosser sans passion dans un centre d'appels. Une existence de mère peut-être, un jour aussi... puisque la vie des gens normaux se tisse décidément diurne, tandis que Laura s'emploie à défaire, telle Pénélope à chaque nuit tombée, l'ouvrage raisonnable de ses  journées.
Bref, l'héroïne se pose à jeun toutes les questions existentielles auxquelles elle sabote toute réponse en buvant, en fumant, en se droguant. Pour autant, les amateurs de descente en enfers se casseront la dent sur la couverture du livre ou dès les premières pages. Il est bien question, et à répétition en boucle, de cuites, de came, voire de coke, mais les deux commères font figure de petites joueuses adulescentes. Rien non plus qui rappelle le pétillant dynamisme et la fraîcheur salutaire d'un journal à la Bridget Jones. Le ton est terne, malgré un humour au ras des pâquerettes, ou devrait-on dire de la touffe pour rester dans le registre de la romancière. L'impertinence pourtant de mise fait flop et le thème de l'alcoolisme entre copines n'a rien par exemple d'un traitement à la façon hilarante et mythique de"Absolutly Fabulous".
On attend en vain que ce roman-ci entre dans le vif d'un sujet qui était pourtant consistant, ou qu'au moins il nous prenne aux tripes. Mais l'approche reste en surface. Le sujet méritait une plongée en apnée, sinon l'alibi poétique d'un survol à la Vian de l'écume... des nuits. Rien de tel ici. Le titre même induit en erreur: l'animal, femelle de surcroît, n'ignore ni la grâce ni la sagesse du corps qu'il habite en toute "conscience", il n'est pas que pulsion vomitive ou éructive. Reste la pertinence de cette jeune romancière anglaise, questionnée par les enfantillages de la condition humaine quand elle négocie une échappatoire à la vie adulte. Mais le traitement qu'elle donne au sujet fait l'effet d'une drogue très soft, d'une dose d'alcool pour mineur. L'entrée en matière, plus fécale que grise, ballote le lecteur, non pas par le vertige nauséeux d'un lendemain de fête, mais dans la giration sans queue ni tête d'anecdotes digressives, censées planter le décor. On nous assène une succession d'associations d'idées en guise de fil narratif pendant des dizaines de pages, puis une vague histoire semble vouloir prendre forme, articulée artificiellement autour des thèmes féminins de la quête amoureuse et du projet d'enfanter. On en déduit que le noeud du roman tourne autour de l'éternel dilemme des fêtards qu'on pourrait formuler en trois mots: "...et demain matin?" Alors: "après moi le déluge!" ou "je me responsabilise et j'adopte un chat"? La fin émue du roman laisse penser que l'héroïne a décidé de trancher, et dans un sens que le titre annonçait naïvement déjà, du fait d'évoquer sa bestialité à l'"imparfait" passé. Bref, on a tourné en rond, à la façon d'un homme ivre debout devant son lit, attendant qu'il repasse et s'arrête pour pouvoir s'y coucher enfin. Un des effets désagréables des crus de modeste qualité. Ou qui gagneront, simplement, eux aussi, à vieillir... car la ravissante romancière anglaise a l'atout impulsif de ses personnages, la jeunesse infiniment - quoique non indéfiniment- prometteuse.

Nous étions animales
Auteur: Emma Jane Unsworth
Editeur: Fleuves
Parution: 11 février 2016
Prix: 18,90 euros


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