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Le cœur de l’Angleterre » de Jonathan Coe : le grand roman du Brexit

CoePar Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / Trois temps. Trois mouvements. L’Histoire en marche. On commence en 2010, on poursuit en 2014, on boucle en 2017. Approchant la soixantaine, Jonathan Coe a mal pour son pays- ce qu’il raconte dans son nouveau roman, « Le cœur de l’Angleterre ». Cette Angleterre qui, par référendum, a décidé de quitter l’Union européenne- ce qu’on a appelé le Brexit… Coe est un des meilleurs écrivains britanniques de l’époque, et ce depuis un bon moment. Dans ses textes, il fait montre d’un sens de l’ironie, d’un humour implacables. On l’avait apprécié pour un recueil de nouvelles (« Numéro 11 », 2015) et des romans comme « Testament à l’anglaise » (1996), « Bienvenue au club » (2001), « Le Cercle fermé » (2004) ou encore « La Vie très privée de Mr Sim » (2010), Et dans un récent entretien accordé à un hebdomadaire français, il confiait : « Tout cela est alarmant. Les passions prospèrent, les esprits s’échauffent, le climat est volatile. Tout cela me semble très peu fidèle à l’esprit britannique. Il aurait fallu imposer un moratoire de six mois après le référendum, avec des assemblées citoyennes organisées et des discussions entre les pro-Brexit et les anti pour que les conséquences soient comprises. Et la complexité du processus expliquée dans ses détails ».

Ainsi, donc, Jonathan Coe a le blues à l’âme et au Brexit. Il est toute inquiétude pour l’état de Sa Nation. Et il l’a écrit. Sur près de six cent pages. C’est lumineux, étourdissant, pertinent… parce que Coe est un délicieux portraitiste. Ainsi, avec « Le cœur de l’Angleterre »- qui complète une trilogie où l’on avait « Bienvenue au club » et « Le Cercle fermé », lui le grand amateur de musique et de cinéma, il décrypte un pays qui s’est mis hors du jeu européen. On est en avril 2010, le Premier ministre alors s’appelle Gordon Brown et songe surtout à sa réélection alors que le pays- et Londres- s’apprête à recevoir les Jeux olympiques d’été 2012. Benjamin Trotter a 50 ans, il pleure sa mère, récemment décédée- on apprend qu’il vit dans un moulin recyclée en maison où il tente de boucler un roman qui sera vraisemblablement publié dans quelques années, on dit même qu’il figurera dans la liste du Man Booker Prize, prix le plus prisé dans le monde des lettres britanniques. Parmi les autres personnages : Colin, Lois et Sophie. respectivement père, sœur et nièce de Benjamin, le premier a décidé de voter pour la sortie de son pays de l’Europe, la deuxième est à nouveau hantée par ses anciens démons, et la troisième, professeure de l’histoire de l’art, va faire sa vie avec Ian, tellement à l’opposé d’elle, mais ne cesse de se demander si le Brexit n’aménera pas inexorablement son couple jusqu’au divorce. Et puis, il y a aussi Douglas Anderson, commentateur politique classé « à gauche » et dont le mariage ne va pas fort…
Dans ce pays qui a inventé les Beatles et les Rolling Stones, célébré le punk puis la new wave, la décennie 2010 est le temps du « politiquement correct ». La grogne est là, sourde- l’écart entre les classes sociales ne cesse de se creuser, et ce n’est pas l’élection de David Cameron comme Premier ministre qui va arranger les affaires. Le 23 juin 2016, c’est donc le référendum- à la question « remain or leave », rester ou partir, ce sera la victoire du non à l’Europe. La (courte) victoire en faveur du Brexit. Avec humour et mélancolie, Jonathan Coe ne cache pas, sur le mode romanesque, son inquiétude. En arriverait même à confier qu’il ne reconnait plus son pays… Ecrit tout en virtuosité, « Le cœur de l’Angleterre » est bien le roman indispensable d’une grande nation en crise.

Le cœur de l’Angleterre
Auteur : Jonathan Coe
Traduit par Josée Kamoun
Editions : Gallimard
Parution : 22 aout 2019
Prix : 23 €

Extrait:

« La route était encombrée et ils mirent plus d’une heure et demie à arriver chez Benjamin. Au cœur même des Midlands, ils suivaient à peu près le cours de la Severn et traversèrent ainsi les villes de Bridgnorth, Alveley, Quatt, Much Wenlock et Cressage, itinéraire paisible et sans rien de saillant, uniquement ponctué par ses stations-service, des pubs et des jardineries, avec des panneaux patrimoniaux marron qui trompaient la lassitude du voyageur en lui faisant miroiter des réserves naturelles, des gîtes historiques et des arboretums. L’entrée de chaque village était signalée par un panneau à son nom accompagné d’un feu clignotant qui indiquait à Benjamin la vitesse à laquelle il roulait et l’invitait à ralentir.
« Quel cauchemar, hein, ces radars qui te piègent ! dit Colin. Tu peux plus faire un mètre sans qu’ils t’extorquent de l’argent, ces enfoirés.
-Ça limite les accidents, il faut croire ».
Son père émit un grognement dubitatif ».

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