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La tanche : Inge Schilperoord dans la tête du monstre…

  • Écrit par : Serge Bressan

La TanchePar Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / D’abord, il y a des mots d’Albert Camus : « L’appel humain et le silence déraisonnable du monde ». On tourne la page, ensuite on lit : « Maintenant, je dois faire attention, se dit Jonathan. Maintenant. Cela commence maintenant. Il posa ses mains tremblantes sur ses genoux et frotta lentement, avec son pouce droit, la phalange de son pouce gauche dans l’espoir de se calmer. C’était sa dernière matinée de détention ». Début oppressant pour « La tanche », le premier roman de la Néerlandaise Inge Schilperoord. Début d’un roman terrifiant qui emmène le lecteur sur 220 pages dans la tête de Jonathan. Dans la tête d’un monstre, d’un pédophile qui va quitter la prison parce que l’administration et la justice n’ont pas suffisamment de preuves de sa culpabilité.

 

Lors de la sortie du livre d’Inge Schilperoord aux Pays-Bas voilà deux ans, il y eut une véritable vague de sensation. La critique littéraire et le public y relevèrent une histoire saisissante, certains allant même jusqu’à évoquer Fedor Dostoïevski et Louis-Ferdinand Céline. Et le grand quotidien « De Volksrant » n’hésita pas à affirmer : « Il faut remonter à cinq, voire dix ans pour trouver un premier roman de ce niveau ». Un premier roman qui a été couronné par le Bronze Owl et nommé cinq fois « livre de l’année » par la presse d’Amsterdam et de La Haye.
A 44 ans, dans la vie qui va, Inge Schilperoord travaille à mi-temps comme journaliste et psychologue judiciaire. Elle reçoit et écoute des personnes qui ont commis des actes graves, rédige des rapports d’évaluation à l’attention de l’administration et de la justice. « Au départ, il y a une expérience vécue, quand je travaillais avec un homme qui avait abusé sexuellement d'enfants, raconte-t-elle. J'avais déjà eu de l'empathie dans mon métier, mais lui, il m'a touché, malgré ce qu'il avait fait. Il avait l'air d'une victime, incapable de s'exprimer, pris dans toutes sortes de thérapies pour s'évertuer à changer. J’ai tenté de me mettre à sa place ». Après l’audition, elle ne l’a jamais revu. Il est devenu, pour l’essentiel, le personnage du roman. Le Jonathan de « La tanche »…
Jonathan revient chez sa mère. En prison, on lui a dit et redit les moyens pour prévenir et empêcher les situations à risque. Retour à la vie quotidienne, il doit organiser son emploi du temps- tout y est pensé, calculé, planifié, de la promenade du chien au travail à l’usine en passant même par la préparation du repas. Et pour ce personnage monstre, le vocable « pédophile » n’a qu’une définition, l’insulte qu’il entendait en prison… Et puis, il y a la pêche que Jonathan apprécie tant. Un jour, il pêche dans un étang une tanche, ce poisson présumé guérir de certains maux, un « poisson médecin ». Il la place dans un aquarium- la veille, la soigne tant et tant que sa mère le surnomme « l’homme qui chuchotait à l’oreille des poissons ».
Et puis, il retrouve la tanche sur le ventre, elle est morte… Sa mère, encore, lui dit : « Une personne n'est pas faite pour passer autant de temps seule. Nous ne sommes pas des animaux ». Il y a la petite voisine, cheveux filasse, queue de cheval- elle le frôle. Comment va réagir le monstre qui sommeille en Jonathan ? Respire, Jonathan, respire… « Sa dent cassée, la mèche qui tombait sur son front, le pavillon de son oreille. Il réorientait alors vite son regard sur les rides à la surface de l'eau », écrit Inge Schilperoord- elle confie avoir voulu que « ce livre parle d'un homme en lutte avec lui-même. Il se trouve qu'il lutte avec ça »… Pour sa première venue en littérature, la romancière a évité, avec élégance et maîtrise, le piège de l’empathie pour son personnage- empathie inacceptable pour ce genre de personnage. « La tanche » est un grand roman implacable et oppressant sur un sujet des plus tabous. De sa lecture et de cette descente aux enfers, on en sort bousculé- et pas seulement parce qu’Inge Schilperoord a tout d’une grande auteure…

La tanche
Auteur : Inge Schilperoord
Editions : Belfond
Parution : 17 aout 2017
Prix : 21 €


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