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Franck Thilliez : Pas même en rêve

  • Écrit par : Catherine Verne

RêverPar Catherine Verne - Lagrandeparade.fr/ A lire très éveillé pour arriver à suivre. Sinon impression de rêver pour de bon garantie, et pas pour s'évader dans une rêverie relaxante ou réparatrice, non, embarqué au contraire dans un cauchemar sans queue ni tête. Enfin si,... avec queue et tête: queue de serpent, tête de renard si ça peut vous aiguiller. Et, au milieu, des troncs, quand même aussi.

Des troncs d'arbre où viennent s'encastrer des voitures la nuit, des troncs de corps humains sans visage ou défigurés, des tronçons de route en travaux, des tronçons de rêve et de chronologie éclatée sans qu'on sache jamais pourquoi. En effet, l'assemblage initial des séquences du récit est aussi démembré, ce qui fait qu'on lit un texte avec prologue mais sans épilogue, amputé de son chapitre 56 et dont le premier est à lire après les trois-quart du récit selon un avertissement qui arrive... en conclusion. La pertinence de tels choix peut échapper aux intelligences diurnes et amatrices de cohérence, sinon de cohésion. La nature aussi du texte: s'agit-il des notes anarchiques d'un rêveur ou bien d'un vrai roman? Quant à la teneur, il faut s'accrocher pour démêler la trame romanesque vraisemblable des fumigènes relevant de délires oniriques. La conscience achoppe sur un flou bien commode à vrai dire. Passons sur le parti pris de ne prêter aucune structure logique en apparence au récit, s'autorisant sans doute de la texture désordonnée des limbes oniriques - ce qui n'a cependant pas de fondement, tout rêve obéissant à une logique inconsciente implacable et bien efficiente. Passons sur l'incohérence de l'histoire dans le détail et dans l'ensemble, facile à justifier pour qui part du principe pragmatique que dans les rêves tout est permis - sauf que là on attendait  l'histoire vraisemblable d'un roman. Au final, pas grand chose d'un bon polar, ce pavé certes très imaginatif et foisonnant de Franck Thilliez. Et on ne mentionne même pas l'absence de style, le seul but étant de raconter une action ici, d'où une allure de scénario sommairement romancé en mode "sujet-verbe- complément". On s'étonnera de l'impasse faite par le romancier sur la pléthore de mystères qu'il introduit au long du récit à un rythme effréné mais qui laissent le lecteur sur sa faim en demeurant inexpliqués. Pourquoi un corps tatoué de vingt-huit lettres? Comment un enfant peut connaître le jargon des criminologues? Jusqu'à ce sigle de BD qui surgit en trois D dans une architecture rurale pour la joie fantaisiste sans doute du coup de tête. Ou encore nombre de fausses pistes pimentant fortement le récit telle celle des incubes -  c'est dire que tout y passe. Prenez des notes, ou vous serez submergé. Mais maintenant s'il faut prendre des notes pour parvenir à comprendre les subtilités d'un roman, ça rend la lecture estivale laborieuse. Garder son discernement demande un effort injustifié ici. Alors on suit l'intrigue avec une curiosité aimable, et pour finir le livre commencé parce qu'on n'est jamais déçu par les parutions de l'éditeur, attendant le génie romanesque au tournant. En vain: on s'en trouve trop souvent étourdi par un vertige croissant d'effets d'esbrouffe tout au plus, embrasant vite l'imaginaire de façon artificielle et dont la fonction semble juste de maintenir, pour la forme, un suspense haletant. Tout de même! Ne pas trouver mieux que recourir au poussif du rêveur qui ne peut expliquer ses délires que par le fait que... ce sont des délires, c'est un peu jeter de la poudre aux yeux des lecteurs en pariant sur leur naïveté béate. A ce compte-là il reste la performante couverture des éditions Fleuve, une brillante composition anamorphotique du mot "REVER", très belle mise en forme du titre, d'une pertinence absolue et d'une ambuiguité intriguante à souhait. Un seul intérêt à lire le reste peut-être: celui de s'amuser après l'auteur - si tant est qu'on en retire un sursaut d'excitation jouissif propice à tuer l'ennui d'un dimanche après-midi pluvieux- à reprendre l'histoire cette fois avec rigueur pour en ordonner l'inextricable fouillis, ou à souligner et supprimer toutes les situations rocambolesques et invraisemblables dont l'auteur n'a pas pris la peine de rendre compte au final sinon en arguant que son héroïne rêvait. Que de tels romanciers osent présenter un tel travail au lectorat semble incroyable; mais peut-être que ce livre n'est jamais tombé entre nos mains, qu'il n'existe pas vraiment. On souhaiterait que le présent article même soit l'ouvrage d'un esprit narcoleptique qui se sera assoupi sur son métier. Qui sait! Un rêve est si vite arrivé. Et si vite oublié, heureusement.

Rêver
Auteur: Franck Thilliez
Editeur: Fleuve
Parution: 26 mai 2016
Prix: 21,90 euros

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