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Jeu de miroirs : un polar au décor minimaliste et au jeu de dupes exaltant

Jeu de miroirsPar Catherine Verne - Lagrandeparade.fr/ A l'instar du personnage welessien, Michael O’Hara, le commissaire Salvo Montalbano se trouve attiré par le genre de femme fatale dont il est dangereux de s'éprendre. Cette fois il s'agit d'une belle dulcinée brune et non de la sulfureuse blonde à laquelle Rita Hayworth avait sacrifié sa tignasse flamboyante dans le film réalisé en 1947. Notre héros ici craque pour sa voisine, irrésistible séductrice déambulant dans sa maison près de la plage avec des faux-airs lascifs de "la dame de Shangaï" quand elle posait sur un rocher ou se baignait en mer. Pourquoi cette femme mariée superbe et qui a déjà un amant, s'intéresse-t-elle subitement à lui?  Quel rapport y a-t-il entre ce mystérieux voisinage et l'explosion d'une bombe en ville qui a tout l'air d'un réglement de comptes entre mafiosi?
Explicitement inspiré de la scène culte du thriller d'Orson Welles, le roman éclate en dix-huit morceaux - les chapitres successifs- un miroir dont le puzzle se reconstitue sous nos yeux hypnotiques. Là aussi un jeu s'installe entre apparences trompeuses et réalité, là aussi flotte un univers où le rêve peut être confondant, tant il entraîne son sujet dans ses limbes nocturnes, là aussi les faits probants et les identités cachées se reflètent dans les éclats de verre, en l'occurrence ceux équipant les rétroviseurs de voitures, miroirs à la fois on ne peut plus tangibles et se prêtant volontiers à la distorsion anamorphotique.
Reste qu'au-delà de la référence, voire de l'hommage au talent welessien, ce roman-ci est de facture purement camillerienne, et du plus pur cru. On y retrouve une verve pétillante à la Frédéric Dard, quoique dans le style inimitable d'Andrea Camilleri faisant dialoguer des personnages pittoresques qui réinventent l'italien. Et là n'est pas la moindre qualité de cette édition à paraître, que proposer du texte original une traduction en Français savoureuse, sous la plume de Serge Quadruppani.
Nous voici loin des effets d'esbroufe indigestes que d'aucuns confondent avec le talent de romancier, tant sur le fond que dans la forme: Andrea Camilleri choisit de mettre en scène son histoire policière dans un décor minimaliste, resserré sans faille sur l'intrigue comme la pâte des tortellini nouée étroitement sur leur farce dense. C'est que "Jeu de miroirs" est comme la cuisine sicilienne, qui ne nécessite pas de fioritures pour provoquer une extase silencieuse. En guise de simple antipasti, qu'on laisse ainsi fondre sous la langue quelques formules savoureuses, telles celles évoquant comment la voisine raconte au commissaire "quantité de carabistouilles", ou assimilant les mafieux à "des crétins qui se croient omnipotents. Comme certains hommes politiques." Ou encore ce cri du coeur d'un personnage consulté sur la fiabilité de son expertise: "De sûr, comme vous le savez bien, il n'y a que les impôts et la mort."
Avec une sobre économie de moyens, c'est entre ses promenades digestives sur la plage, ses courses pour se ravitailler en cannolli, ses heures de fonctionnaire et ses sommes agités de rêves que Montalbano, imperturbable, élucidera point par point l'énigme policière. Effet romanesque garanti: on suit l'intrigue avec un plaisir pur, que ne trouble aucun artifice grossier d'écriture, et on sort de ce livre comme de la dégustation d'aubergines à la parmesane ou de ces spaghettis au noir de seiche que sert la trattoria où déjeune en habitué Montalbano, c'est-à-dire proprement béat et réjoui. S'il n'est pas impossible qu'on prenne du poids en passant, à la lecture des recettes d'Adilina, la bonne du commissaire, qui réussit les meilleurs arancini du monde, il est certain, "comme les impôts et la mort", qu'on en a l'eau à la bouche. A se demander comment il fait, Montalbano, pour rester concentré sur la résolution de cette énigme à facettes. Par où, si l'on en doutait, Andrea Camilleri tient bien là un héros, avec ce Montalbano... très bluffant pour le coup dans ce jeu de dupes.


Jeu de miroirs
Auteur: Andrea Camilleri
Editeur: Fleuves
Parution: 14 janvier 2016
Prix: 20 euros

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