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Le plaisir de penser : une compilation académique de citations de la philosophie occidentale

Le plaisir de penserPar Catherine Verne - Lagrandeparade.fr/ La mode étant aux compilations de citations en tout genre, généralement par lot de 365 pour couvrir l'année de béatitude, la philosophie occidentale aura désormais la sienne avec "le plaisir de penser".

Ouvrage qui, comme ne l'indique pas son titre, n'est pas spécialement agréable à lire mais juste satisfaisant d'un point de vue strictement studieux. On y retrouve -sans surprise- cités les incontournables de l'histoire et de la géographie de la philosophie académique. La copie, dirait-on donc, est correcte, sans fantaisie toutefois susceptible de déclencher un plaisir fût-il intellectuel, entendez: ayant la finesse d'un mot d'esprit ou la subtilité d'une herméneutique renversante, la poésie d'un inventaire à la Prévert.

De quel plaisir s'agit-il donc ici? Sans doute de celui du savoir, plus que du penser, hélas, peu suscité au long d'un ouvrage dont il semblait constituer le projet. Et quel savoir? Le plus académique qui soit, celui dont l'ignorance impie plonge les bachoteurs, arrivé l'équinoxe d'été, dans la désolation et les pousse à errer, toute l'arrogance de l'adolescence en écharpe, en quête de kit de survie à "l'épreuve de philo". Lesquels lycéens n'ont souvent du plaisir à penser aucune espèce d'idée très clairement élaborée. Puisse donc cette énième introduction à la philosophie les toucher comme la grâce qui soulève les vocations les plus improbables. Car ne pas trouver de plaisir à philosopher est une épreuve bien pire que le premier jour du Bac, et peut-être même que la traversée houleuse de l'adolescence.
L'étymologie, confortée par l'expérience des plus avertis, associe en effet étroitement cette singulière discipline à l'amour, certes de la sagesse mais tout de même, l'amour! Or aime-ton ce qui déplait? Bon courage aux candidats aux yeux desquels aucun écrit enflammé de métaphysicien, aucune controverse épistémologique, aucun aphorisme exalté de penseur n'aura encore trouvé grâce. On peut douter que les efforts du professeur agrégé, qui s'y est ici collé avec conviction, ne parvienne à émouvoir leur insensibilité entêtée. Pourtant André Comte-Sponville est un des moins désagréables à regarder, à lire, à écouter surtout, de tous ceux qui professent médiatiquement les atouts ingrats de la philosophie.
L'homme qui  adjoint ici à l'intelligence professionnelle de son propos l'implication humble qui caractérise ce membre du comité national d'éthique, prêchera-t-il ici plus que des convertis? Pas sûr. Outre la curiosité de se tester entre anciens potaches pour vérifier si on sait encore reconnaître un extrait des "Prolégomènes à toute métaphysique future" ou si on se souvient d'où est tiré tel ou tel mot de Descartes, on ne trouve ici aucune initiation au plaisir de philosopher, aucune invitation à ce vertige délicieux qui consiste à se jeter corps et âme à la recherche de la vérité nue, à braver les incertitudes et les fausses pistes qui jalonnent cette frénétique enquête, à frôler l'angoisse du non-sens avec l'ivresse qui titille les pilotes de Formule 1, à suivre à s'en étourdir joyeusement les circonvolutions du questionnement philosophique, sans filets, sans fin, sans répit, en acrobate défiant le vide existentiel. Bien sûr, que philosopher est un plaisir... Puisque rien n'est sérieux, puisque on ne sait qu'une chose c'est qu'on ne sait rien, jouons, jouissons!
Mais de cet élan qui aurait pu animer l'exposé du professeur, on ne trouve pas la ferveur ici. On peut reprocher à son travail de juxtaposer sans commentaire et sans âme 600 citations dont la pertinence ne se livrera peut-être pas d'elle-même à nos candides candidats, par l'effet d'une génération plus spontanée que la leur. On peut reprocher aussi à l'auteur de donner systématiquement son propre point de vue, douze fois de suite, sous couvert de longue introduction à chaque thématique, même si le rhétoricien s'est déjà préservé de toute remarque à ce sujet, annonçant qu'on ne philosophe qu'à partir des autres et que par soi-même, ce que l'ouvrage illustre sans conteste: les citations les plus fournies qu'on y trouve sont d'André Comte-Sponville. A charge pour le lecteur de se construire sa propre idée de la vérité d'après ce modèle vivant d'alchimie honnête. N'est-ce pas tout le paradoxe et la difficulté de l'entreprise de philosopher, qu'être pris entre la rigueur du savoir et le subjectivisme du penser?
On ne s'étonnera pas du choix que fait, quant à lui, notre professeur avec cette approche une fois de plus réservée en apparence, lui coutumier des analyses consacrées aux autres -en l'occurrence à des philosophes académiques comme Spinoza ou Epicure- au cours desquelles il se trouve conduit cependant à présenter la quintessence de sa propre philosophie. On aimera ou pas cette façon qui lui est personnelle de sélectionner ce qu'il convient de retenir de vingt siècles d'histoire de la philosophie pour, selon lui, bien philosopher. Et il faut vous laisser en juger, car le plaisir se commande-t-il? Entre nous, se commande-t-il comme le savoir? Mais le savoir lui-même se commande-t-il? Ou n'est-il de savoir qu'"affectif" selon la formule de Ferdinand Alquié -un philosophe non retenu par André Comte-Sponville ? Que voilà de bons sujets de Bac, en passant! Au choix, et sans vous commander pour le coup, on vous souhaite -bien- du plaisir!
Pour conclure, on a affaire avec "le plaisir de penser" à la compilation de morceaux choisis et introduits par une valeur sûre de l'enseignement philosophique. A offrir aux élèves de terminale. Maintenant. Pour quelque espoir que la révélation se produise aux alentours du mois de mai, après lente infusion: le plaisir prend son temps. La jeunesse aussi, avec ses rythmes heurtés qui la font passer des transes de l'impatience à la très agaçante -pour les adultes- indolence subite. Si donc, une seule citation pouvait la réconforter, la voici - et c'est Epicure qui le dit: "il n'y a pas d'âge pour philosopher". Rappelons qu'il ne s'agit pas là de n'importe quel philosophe d'ailleurs, mais celui du plaisir... du plaisir bien pensé s'entend!

Le plaisir de penser
Editions: La librairie Vuibert
Auteur : André Comte-Sponville
En librairie le 9 septembre 2015
Prix: 19,90€

 

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