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A jeter sans ouvrir : un livre furieusement chaotique de Viv Albertine

a jeter sans ouvrirPar Serge Bressan - Lagrandeparade.fr/ Elle s’était rappelée à notre bon souvenir en 2017 en parlant « de fringues, de musique et de mecs »- ce qui avait donné le titre de son premier livre où elle racontait ses années punk, ses innombrables FIV (fécondations in vitro), son cancer de l’utérus ou encore sa reconversion en « femme au foyer ». Et en ce printemps, à 64 ans, Viv Albertine nous revient avec un deuxième texte, tout aussi étincelant qu’énervé, tout aussi explosif qu’intimiste. C’est « A jeter sans ouvrir », le livre d’une femme en colère. Dans les dernières années 1970 avec une bande de copines, elle avait monté The Slits, le premier groupe punk entièrement féminin. Des filles bien énervées. Et puis, au fil du temps, Viv Albertine s’est assagie, éloignée de la musique, a touché à la production, à la vidéo et aux arts plastiques…

En ouverture d’« A jeter sans ouvrir », elle glisse une citation extraite du « Journal » de la plasticienne et sculptrice Louise Bourgeois (1911- 2010) : « Etre une artiste constitue la garantie, pour les congénères humains, que l’usure et la lassitude de vivre ne les pousseront pas au meurtre ». En ouverture du premier chapitre, l’auteure écrit : « Le lendemain matin, j’étais là, assise tout au bord de ma chaise de cuisine, en train de faire une liste comme si de rien n’était. L’arête du siège en bois me pinçait le haut des cuisses mais je n’ai pas bronché, le mention dans le creux de la main, le coude planté dans la table, et suis restée comme ça près de deux heures. La table et la chaise sont très bobo classe moyenne… » Tout paraît si simple, si ordinaire, si banal dans ces années 2000 durant lesquelles Viv Albertine- surnommée sans grande élégance « la ménopunk » après la parution de « De fringues, de musique et de mecs »- s’est, nous assure-t-on, assagie. Ainsi, elle se consacre, nous dit-on aussi, à sa fille, à sa carrière et à ces mecs qu’elle croise mais qui, si souvent, n’en valent pas la peine.
A la mort de son père, elle retourne au domicile familial- elle prévoit d’y récupérer ce qui lui revient, elle tombe sur un journal de bord. Dans celui-ci jusqu’à ce qu’il se sépare de sa femme (et donc de la mère de Viv), le père notait, consignait les petits et grands moments du quotidien de la famille… Plus tard à la mort de sa mère, cette fois, Viv Albertine va trouver un paquet bien fermé sur lequel est écrit : « A JETER sans ouvrir ». Remontée sur scène après vingt-cinq ans de silence, la punk musicienne devenue écrivaine outrepasse bien sûr l’injonction, elle découvre le journal de sa mère, courant sur la même période que celui de son père… Elle (s’)interroge, écrit : « Pour quoi est-ce que je me battais au juste ? Je n’en suis toujours pas certaine aujourd’hui. C’est si profond, si ancien, que ça n’a pas de mots, pas de forme, pas de logique ».
Au fil des pages d’« A jeter sans ouvrir », cette femme qui vit à Londres et s’y consacre à l’écriture continue la dissection méticuleuse de la famille. Défile alors une période qui court des années 1960 à aujourd’hui. L’œil et la plume acérés décryptent la société occidentale. Et, adepte hier du « No Future »- les deux mots qui ont fait la philosophie punk, Viv Albertine continue le combat. Le combat d’une femme en colère, encore et toujours. Une femme qui lance un plaidoyer pour les femmes et la cause féminine. Dans un entretien lors d’un récent passage promo à Paris, évoquant les femmes qui questionnent l’autorité masculine : « Cela a toujours effrayé les hommes que je rencontrais, les a empêchés de m’aimer ou les a poussés à me rejeter. Ça a toujours déstabilisé les gens qui détenaient le pouvoir, comme mon directeur, mon dentiste… Quand j’étais dans mon groupe, je me suis même fait attaquer, j’ai pris des coups pour ça. Et plus tard, quand j’étais réalisatrice à la BBC, idem, j’ai eu des soucis avec beaucoup d’hommes différents. Je n’arrive pas à jouer le jeu. Je ne peux pas les laisser monopoliser la parole ou le pouvoir, je n’y arrive pas… »
Femme en colère, femme de colères, Viv Albertine joue la transparence et accepte les règles de l’autobiographie- parlant même de ses poils, de la diarrhée ou encore de la crainte de péter au lit avec un homme : « Je voulais être absolument honnête à mon sujet. Je me suis dit qu’il n’y avait aucun intérêt à écrire un livre si j’édulcorais quoi que ce soit… Cette franchise, c’est ce dont les gens, surtout les plus jeunes, ont besoin. Le truc génial quand on est plus vieille, c’est qu’on se sent beaucoup plus libre de dire ce genre de choses ! » Alors, elle ne cache rien et confie appliquer « à mon écriture les règles du punk : être honnête, avoir quelque chose à dire, faire court. On bannissait les solos de guitare ; j’évite les longs paragraphes ! » Avec « A jeter sans ouvrir », Viv Albertine a écrit un livre furieusement chaotique !

A jeter sans ouvrir
Auteur : Viv Albertine
Editions : Buchet-Chastel
Parution : 12 avril 2019
Prix : 22 €

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