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Maurice G. Dantec, prodiges & outrances : Dantec, ou le polardeux punk qui se prit pour un penseur

  • Écrit par : Guillaume Chérel

SéguierPar Guillaume Chérel - Lagrandeparade.fr/ Quoiqu’on pense de Maurice G. Dantec, il fallait en « avoir » (de la passion et… de ce que vous savez) pour oser écrire (et publier) une biographie sur l’auteur sulfureux de Théâtres des opérations.  Ce, deux ans seulement après sa mort, le 25 juin 2016 à Montréal. En effet, l’ancien « prince du néo-polar », qui se rêva en Rockstar de la contre-culture a fini sa vie adulé par un quarteron d’identitaires néo-fascistes, lui le fils de militant communiste qui a grandi dans l’ex-ceinture rouge. Le critique littéraire Hubert Artus (1) l’a fait. Avec ses qualités (il connait bien l’œuvre) et ses défauts (une écriture journalistique qui a parfois tendance à se relâcher, nous y reviendrons). Le tout donne malgré tout un livre qui se lit quasiment d’une traite, tant il y avait matière à raconter et à tenter de décrypter.
Enfant de feu la « banlieue rouge », dans les années 70-80, Maurice (G.) Dantec fut un lycéen complexé par son acné, lorsqu’il fut remarqué, et encouragé dans sa passion pour la littérature par un certain Jean-Bernard Pouy, alors « super » « pion » au lycée Romain-Rolland d’Ivry-sur-Seine, dans le Val-de-Marne, bastion communiste, avec la Seine-Saint-Denis. Il lui transmet un choix de livres accès sur la SF (et non de polar), qui allait de Philip K. Dick à Norman Spinrad, en passant William S. Burroughs. L’ado boutonneux, déjà confus lors des A.G où il gesticule en prononçant des phrases incompréhensibles, lit aussi Marcel Maus (sic !) : 1872-1950, considéré comme le père de l’anthropologie française. Le futur pape du polar, Jean-Bernard Pouy, alias « J.B », père de la série du Poulpe, est soufflé : « Il avait une culture vraiment paradoxale pour un garçon de cet âge-là. ».
Le fameux Maurice Dantec (qui ajoutera le « G » pour se la jouer américain) s’est également plongé » dans la punk-music, et la contre-culture en général. Maurice, le banlieusard, commence par co-créer un groupe de rock cyber-punk (Artefact) avec de vrais-faux amis, avec qui il ne cessera de se brouiller et de se réconcilier toute sa courte vie. Il se fait remarquer avec "La Sirène Rouge", de facture classique, mais c’est avec "Les Racines du mal" (1995), un ovni au croisement du roman social, du techno-thriller et de la science-fiction, qu’il révolutionna le paysage « polardeux » français. C’est l’époque des auteurs dont le nom se termine par « ec/eq » : Dantec-Ravalec-Darrieusecq-Houellebecq… Sans oublier Virginie Despentes et Guillaume Dustan. La génération abreuvée de rock-culture. En polar, il se met à la hauteur des Manchette, Jonquet, Daennckx… Pouy, dès ses débuts tonitruants. Un souffle nouveau réveille la Série Noire, dirigée alors par Patrick Raynal. Le problème, c’est que fort de son succès Dantec s’est pris pour un penseur, un essayiste. Au lieu de continuer à creuser la veine du polar de Science-Fiction, ou tout du moins « dystopique ». La publication des controversés "Théâtres des opérations" (2000-2007) marque le début de la chute. Les ventes baissent inexorablement. Ses éditeurs le lâchent. Il s’isole à Montréal, où il s’est exilé.
Il dérive idéologiquement, dérape politiquement (de la contre-culture à la contre-révolution, en passant par l’odyssée punk, il se convertit au « catholicisme futuriste » (sic ?!). Les substances, diverses et variées, qu’il fume et s’enfile, ne vont rien arranger… Passons sur les détails de sa récupération par un apprenti agent, et futur éditeur (Ring), qui se fait appeler Kersan : celui-ci le vampirisera littéralement avant de le laisser tomber comme une vieille chaussette usée.
Le décès de Maurice G. Dantec, en juin 2016, laisse de nombreux regrets, et quelques doutes : imposteur surévalué ou auteur majeur ? La biographie d’Hubert Artus a le mérite d’exister et de poser les bonnes questions. Il retrace le parcours d’un paradoxe vivant : porté aux nues puis décrié, conspué, moqué, caricaturé. Un vrai destin de rock-star pour le coup, déçue puis déchue. Maurice Dantec aura au moins atteint de but-là. Quant à savoir si son œuvre restera… L’histoire jugera. L’auteur de cet essai habité (Artus avoue qu’il était fan) commence d’ailleurs son livre par cette question : « Qui cela va-t-il intéresser ? ». Poser la question, c’est y répondre à moitié. Qui lit encore Dantec de nos jours ? D’ailleurs, qui comprenait ce qu’il écrivait dans ses derniers livres ? DOA a pris sa place dans le genre (pavé noir futuriste lourd à digérer). Et ses derniers exégètes le sont pour les mauvaises raisons (son délire identitaire), alors que l’écrivain Dantec (mauvais musicien) eut des fulgurances littéraires incontestables. Regrettons simplement un manque de relecture de l’éditeur. Ça sent le livre écrit au fil de la plume, sans assez de temps pour peaufiner, recouper, relancer, dead-line oblige. Un éditeur plus rigoureux, et/ou professionnel n’aurait pas laissé passer de trop nombreuses répétitions et redondances. Le narrateur intervient de manière systématique (moi je…), et certaines métaphores osées (un geyser a plus à voir avec l’eau qu’avec le vent…). Passons, ce livre est malgré tout passionnant à lire parce qu’il est écrit par un homme féru de littérature (et de rock culture). Quant à Dantec… J.B (Pouy) reconnaîtra les siens.      

Maurice G. Dantec : prodiges & outrances
Auteur : Hubert Artus
Editions : Séguier
334 pages
Prix : 21 € 

(1)Hubert Artus est journaliste Culture et Sports. Il travaille pour Lire, Marianne, Causette et « Ça Balance à Paris », sur la chaîne Paris Première. Il est auteur de Galaxie Foot - Dictionnaire rock, historique et politique du football (Don Quichotte 2011, rééd. Points 2014) et de Pop Corner - La grande histoire de la pop culture 1920-2020 (Don Quichotte, 2017, rééd. Points janvier 2018).


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