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Va où il est impossible d’aller : Costa-Gavras, faire face, encore et toujours…

  • Écrit par : Serge Bressan

Costa GravasPar Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / Né en Grèce, arrivé en France à 22 ans, le réalisateur de « Z », « L’Aveu » ou encore « Amen » publie, à 85 ans, ses Mémoires. C’est un livre intense et formidable au joli titre : « Va où il est impossible d’aller ». C’est aussi un hymne à une vie de lutte et d’engagement(s). Voilà quelques années, confesse-t-il, un éditeur lui avait demandé un livre de souvenirs, de choses vues et vécues. L’affaire fut entendue, un « professionnel de la plume » vint l’interroger, enregistrer ses propos- ça donnerait, aucun doute, un livre. Mais rapidement, Costa-Gavras, né Kostantinos Gavras le 10 février 1933 à Loutra-Iraias (province d’Arcadie, Grèce), n’est pas plus convaincu que satisfait du procédé. Il met fin au projet. Quelques années plus tard, l’année de ses 85 ans, le cinéaste mondialement (re)connu publie ses Mémoires, livre épais (plus de cinq cents pages) délicieusement titré : "Va où il est impossible d’aller", après avoir plongé dans ses notes et archives et écrit lui-même tous les mots.

Costa-Gavras, une vie, une œuvre… Un jour de 1955, il débarque à Paris. Gare de Lyon, il a pris le bateau jusqu’à Brindisi, puis le train jusqu’à Paris où il doit retrouver un ami. En Grèce, sa mère souhaitait qu’il fasse des études, mais c’était impossible en raison des prises de position anti-royalistes de son père qui l’aurait bien vu dans le commerce du tissu « parce que l’homme aura toujours besoin d’être couvert ». Mais le jeune Konstantinos penche pour l’avis maternel. Donc, direction la France… Il fréquente les salles de cinéma, se retrouve à l’IDHEC (Institut des Hautes Etudes Cinématographiques), devient assistant-réalisateur avec René Clément, Henri Verneuil ou encore Jean Giono, réalise son premier film en 1965 : « Compartiment tueurs », avec un casting haut de gamme (entre autres, Yves Montand, Simone Signoret, Jean-Louis Trintignant, Jacques Perrin et Charles Denner). Homme d’engagement(s), en tour promo ces temps-ci, il dit : « Il n’y a pas de message particulier dans mes films. Le cinéma, c’est avant tout du spectacle ».
On revoit alors « Z » (1969), « L’Aveu » (1970), « Clair de femme » (1979), « Missing » (1982), « Conseil de famille » (1986), « Amen » (2002), « Le capital » (2012, on lit, sur l’affiche : « Continuons à prendre aux pauvres pour donner aux riches »),… On se dit que oui, avec Costa-Gavras, le cinéma c’est du spectacle mais dans lequel l’intelligence et l’interrogation ont toujours la plus belle place. Parce que « Costa », actuellement Président de la Cinémathèque de Paris, a toujours vécu selon les mots et conseils de son père : « Fais face ». Des mots qu’il lui avait dits alors qu’enfant, il échappait (rêve ou réalité) à un homme qui le poursuivait et l’effrayait… Homme dont le cœur (et l’esprit) penche à gauche, il a été sollicité pour la Présidence de la Grèce (il a refusé) et le Premier ministre Alexis Tsipras lui a proposé le Ministère de la Culture- il a réfléchi puis refusé : « Ce n’est pas ma place », justifie-t-il. Simplement, Costa-Gavras est toujours allé où il est impossible d’aller…
Dans cet intense et formidable livre, le réalisateur rappelle qu’il a refusé une proposition d’Hollywood et de s’installer aux Etats-Unis « pour sa femme et ses enfants ». N’empêche ! il a travaillé, fait tourner Jack Lemmon (un des acteurs qui, avec Yves Montand et Gad Elmaleh, l’a le plus impressionné), Sissi Spacek, Dustin Hoffman ou encore John Travolta- ça aurait pu aussi se faire avec Robert Redford si celui-ci ne lui avait pas demandé de changer la fin du scénario : « Les Américains adorent les sauvetages ou les rédemptions de dernière minute… Mais ça aurait été trahir la vérité historique, et mon scénario », confie-t-il. Son ami, l’écrivain Tahar Ben Jelloun raconte que Costa-Gavras, c’est « une vie pleine sans ellipse ». Ce que confirme « Va où il est impossible d’aller » : fidèle autant en amitié qu’idées, Costa-Gavras s’est inscrit dans l’Histoire du cinéma mais aussi de la vie qui va. Une vie à lutter contre l’oubli, à éviter la petite apocalypse, à faire surgir ici et maintenant lumière et compagnie…

Simone, Jacques et quelques autres…

Au fil des pages de « Va où il est impossible d’aller », Costa-Gavras se raconte. Et raconte aussi tant et tant de personnalités des arts et de la politique qu’il a côtoyées, professionnellement et / ou amicalement. Evocation de cinq d’entre elles, parmi d’autres.
- Simone Signoret « Ma première rencontre avec Simone Signoret s’est passée à la Roulotte, comme on appelait leur appartement de la place Dauphine. Pour des stars comme Montand et Signoret, je m’attendais à découvrir un grand et luxueux appartement. Je me suis retrouvé dans un rez-de-chaussée qui donnait sur un bureau minuscule, une cuisine de quatre ou cinq mètres carrés et une salle de séjour toute en longueur. Le tout bas de plafond. Il y avait un piano à queue et un long buffet très beau en acajou sur lequel était posé l’Oscar que Simone avait reçu en 1960… »
- Jacques Demy « Les acteurs n’étaient pas non plus ses collaborateurs. Il s’agissait d’une histoire d’amour entre lui et l’interprète de l’histoire qu’il avait écrite. Jacques allait jusqu’à diriger les figurants, ce qui d’habitude est laissé à l’assistant… »
- Johnny Hallyday « Pour la sortie de « Conseil de famille » (1986, avec Fanny Ardant, Guy Marchand, Rémi Martin,… NDLR), nous avons fait avec Johnny un « tour de France » pour présenter le film. A chaque rencontre avec la presse, je voyais arriver une foule de fans, plus d’hommes que de femmes, admiratifs, troublés, impressionnés de le voir de si près, comme des enfants malgré leurs grands bras souvent tatoués et leurs vêtements de cuir. J’ai vite compris que Johnny acteur ne les intéressait pas du tout. C’est le chanteur qu’ils idolâtraient ».
- Elizabeth Taylor « L’after-Oscars dinner se passait cette année-là dans la grande salle du Hilton de Beverly Hills. Après avoir traversé la monumentale cohue, j’aperçois à la table voisine Gregory Peck (…). Il se lève, vient vers nous (…) il se penche vers moi : « Venez, Costa, quelqu’un veut vous connaître. » A sa table, plusieurs visages connus me sourient. Je souris à la ronde et, soudain, je remarque, juste devant moi, un visage aux yeux archiconnus et à la couleur unique au cinéma : Elizabeth Taylor. J’ai eu le sentiment de la connaître depuis toujours. C’est à elle que Peck me présente d’abord, en lui disant quelque chose que je n’ai pas saisi. Elle me dit je ne sais plus quoi sur le film en tenant ma main, puis, en me fixant avec plus d’intensité, enfin, c’est ce que j’ai cru : ‘’ With you, anything, anytime, anywhere…’’ »
- Salvador Allende, président du Chili (1970- 1973) « Plutôt petit, le président Allende portait des lunettes à grosse monture et une moustache de notable de province, mais sa voix avait une fermeté, une clarté dans les propos et une chaleur qui m’ont réjoui. Après m’avoir demandé des nouvelles de la France, de Michèle, de nos enfants, de mes projets, il m’a parlé de son idée de socialisme à la chilienne, démocratique et libre. Libre pour tous, pour l’opposition, quelle qu’elle soit, pour la presse, quoi qu’elle écrive, pour les artistes, pour les religions. Il a insisté sur les mots « libres », « liberté »… »

Va où il est impossible d’aller
Auteur : Costa-Gavras
Editions : Seuil
Parution : 5 avril 2018
Prix : 25 €


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