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Le voyage du Prince : la lumineuse histoire du singe qui a traversé la mer

  • Écrit par : Julie Cadilhac

affichePar Julie Cadilhac - Lagrandeparade.com/ Tous les films de Jean-François Laguionie sont de petites merveilles d’esthétique, d’intelligence et d’humanité, paraboles frappantes qui se comprennent à différents degrés de lectures et embrassent donc le spectre d'intelligibilité le plus large possible. N'est-ce pas la première qualité d'un film d'animation de génie? Rappelons-nous de Le Tableau (2011) qui narre l’histoire d’une petite fille appartenant à la communauté des « PaFinis », malmenés comme les pauvres Reufs -réduits, eux, carrément à l'état de brouillons- par les Toupins, et qui part à la recherche du Peintre, ce Démiurge tout puissant, pour l’exhorter à finir la toile qu’il a commencé et remettre de la justice dans un monde fascisant ; Quant à Louise en Hiver (2016), il fait entendre le récit d’une vieille petite dame qui se retrouve obligée de vivre une robinsonnade puisqu’elle a raté le dernier train de la saison. L'occasion de se retrouver peut-être, d'affronter ses fantômes et ses peurs en l'avenir...Tous deux étant des petits objets cinématographiques d’une qualité jubilatoire.

Tout est soigné dans le travail du réalisateur Jean-François Laguionie qui s’accompagne toujours d’autres artistes de grand talent. Le voyage du prince « n’est pas vraiment une suite; plutôt une sorte de miroir » du Château des singes (1999), expliquait-il, samedi 19 octobre 2019 dans le cadre d’une avant-première au Cinéma Diagonal montpelliérain. « J’ai partagé la réalisation avec Xavier Picard et il a fait tout ce que je n’aime pas faire…et surtout tout ce que je ne sais pas faire. C’est devenu mon meilleur copain. » Avec Anik Le Ray, Jean-François Laguionie a écrit le scénario et pendant deux ans ils ont créé l’animatique, la « maquette » qui permet de présenter le long-métrage aux producteurs et leur donner une idée de ce à quoi cela pourra ressembler. Etait présent à cette projection également Christophe Heral, le compositeur de la musique, qui a expliqué comment à partir des « musiques temporaires positionnées sur les animatiques par Jean-François Laguionie » il avait imaginé son propre univers sonore à base de clarinettes, de violons solo et de violoncelles. Le public, à la fin de la séance, a eu le plaisir d'échanger sur ses impressions et de noter les topoi que l'on retrouvait d'un film à l'autre du réalisateur et toute la symbolique dont ils étaient parcouru. A propos d’une question autour de l’omniprésence de la forêt dans ce film, Anik Le Ray a rappelé que la forêt était un lieu symbolique des contes : elle représente « tout le monde de l’inconscient. La part sombre, cachée, secrète. », l'endroit où l'on a retrouvé aussi le petit Tom, symbole aussi donc de la matrice mère. Elle a souligné aussi que Le voyage du prince montrait une « société de la machine qui s’oppose à la nature. »

princeLe pitch? Un matin, un petit garçon - nommé Tom - découvre sur le rivage un homme à la chevelure hirsute, une sorte d'Ulysse naufragé au langage inconnu mais à la physionomie simiesque ressemblant fort à la sienne. C'est ce personnage présent dans le Château des Animaux qui va prendre en charge une narration en focalisation interne. Débute un monologue délicieux dont l'intelligence réside dans cet art qu’avaient les philosophes des Lumières de parler de leur société avec le regard d’un étranger à la fausse naïveté pointant avec lucidité les incohérences et les aberrations d’un système. Dans le monde de singes où il débarque, ce Prince étranger est examiné comme une bête et cet homme appartenant à un peuple de philosophes ( dont il reste lucide sur les défauts également), décrypte avec acuité les malaises d’un monde qui a inventé le travail à la chaîne, qui ne communique plus - « l’expression de la plus grande civilité », qui a créé les zoos où sont parqués des bêtes en cage ( dont le simius barbarus) et s'énorgueillit de l’obsolescence programmée. Tandis qu'à la cime des arbres, au coeur de la forêt, une communauté rétive, La Canopée, a choisi de vivre en communion avec la nature, au pays de la luminosité éclairante; des dilettantes du langage des oiseaux aux lunettes chatoyantes des rougeoiement du soleil. 
Un long-métrage qui donne l’occasion de réfléchir sur la légitimité des autorités morales en place, sur nos réactions face à la différence, notre peur de l’inconnu…

Comme dans tous les contes, ici les repères spatio-temporels sont brouillés à l’envi. Il règne tout de même une atmosphère de début du XIXème siècle où la civilisation se sentait forte et émerveillée des progrès nés de la machine et qui pensait qu’on ne pourrait pas faire mieux. Le Prince, cet étranger à l’accent italien (que lui offre la voix du comédien Enrico Di Giovanni) a des vêtements qui rappellent la Renaissance italienne ; cette omniprésence de l’Académie - et des "âmes arriérés qui y siègent - qui s’interroge sur la possibilité d’un autre monde ailleurs - et ce refus de la science de délaisser ses croyances pour laisser entrer la raison et les preuves tangibles - évoquent Galilée et ses hypothèses révolutionnaires auxquelles il dut renoncer tant l’animosité au changement était grande.

Où sommes-nous? Au sein d’une clairière menacée par une forêt tentaculaire qui cherche à reprendre ses droits sur un espace qui lui appartient, non loin d’une mer dont on fantasme les rivages opposés, dans les bâtiments abandonnés d’un musée d’histoire naturelle à l’écart d’une ville aux immeubles s’élevant toujours plus haut où la fée Lumière et les machines, toutes plus JulesVernienne que les autres, sont considérées comme des preuves éclaboussantes du progrès. Et ce qui est extraordinaire, effectivement, dans ce Voyage du prince, c’est cette déclinaison de lumières fascinante…celle conçue par l’homme, toute électrique, qui offre des paysages urbains magnifiques et des occasions de colorer les fêtes foraines de pétaradantes pancartes lumineuses….et celle unique et toujours changeante du soleil qui se lève et qui se couche…Que de merveilleux paysages célestes offrent ce bijou d’animation!
Dans cette aventure fabuleuse, un prince à la chevelure blanche immaculée et à la sagesse magnanime, un petit garçon espiègle, curieux et vif, un professeur sans envergure aux rapports soignés, une Molly, discrète aide de laboratoire à la bonhomie revigorante, une Elisabeth, botaniste ambitieuse dans l’ombre de son compagnon et qui nourrit des regrets amers…Toute une galerie de personnages pertinents qui permettent à l’intrigue de nourrir des péripéties enthousiasmantes et des réflexions sociétales et métaphysiques passionnantes.
Des raisons encore pour foncer voir cette merveille en famille, en amoureux ou même en solitaire? Le plaisir de regarder en compagnie du Prince à la rêverie mélancolique des flocons de neige tomber d’une branche un matin blanc, le loisir d’observer la majesté des grandes verrières cerclées de fer et d'y deviner quelque secret qui se fomente, celui de grimper dans des monte-charges et de se promener dans les galeries d’un museum oublié, de participer à la grande Fête foraine de la Peur et de s’émerveiller devant King Kong amoureux de Jane, le bonheur d’admirer un parterre de fleurs d’un jaune éclatant au coeur d'une nature rieuse et abondante, de grimper jusqu’à bout de forces jusqu’au sommet des arbres et de s’extasier enfin devant l'immensité d'un ciel à couper le souffle! "Déployez vos ailes", "empruntez un peu de liberté" aux volatiles et foncez découvrir ce travail de la plus haute qualité!

[bt_quote style="default" width="0"]Le sol de ma chambre se couvrait de rêves de papier.[/bt_quote]

Le voyage du Prince
Date de sortie : 4 décembre 2019
Réalisateurs : Jean-François Laguionie, Xavier Picard
Scénario : Jean-François Laguionie, Anik Le Ray
Producteurs : Armelle Glorennec, Éric Jacquot
Production : Mélusine Productions et Blue Spirit
Distribution : Gebeka Films, Urban Distribution, Film Fund Luxembourg, Ciné +, Cinéventure 3

Découvert en avant-première le samedi 19 octobre 2019 au Cinéma Diagonal Montpellier (34) dans le cadre du Festival Cinemed

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Du même réalisateur: 

Louise en hiver : de la solitude et de la délicatesse par Jean-François Laguionie

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