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Afectados: le peuple uni jamais ne sera vaincu…

  • Écrit par : Guillaume Chérel

Dissidenz filmsPar Guillaume Chérel - Lagrandeparade.fr/ « Afectados (rester debout) » est un documentaire très touchant qui commence par un long plan fixe de nuit. Depuis une colline on distingue une cité HLM faiblement éclairée dans une vallée bétonnée. C’est froid, humide et intemporel. Le son est atténué, étouffé. Puis la caméra se rapproche. Un train de banlieue passe dans un vacarme de RER, ou de TER, que nous connaissons bien en France. Nous pourrions d’ailleurs être en France, comme vous allez le voir (espérons, car c’est un beau film). Mais nous sommes en Espagne… Plus précisément en Catalogne, dans la banlieue de Barcelone. A l’entrée d’une entrée d’immeuble, où l’on s’affaire, des dizaines de personnes s’aident à porter des chaises et des tables dans une grande salle qui ressemble à un gymnase. On comprend qu’une réunion va avoir lieu, mais pour quoi faire ? Certains parlent en castillan (les étrangers, les immigrés) d’autres en catalan. Nous apprenons qu’ils ont été expulsés de leur maison. Que la « crise » financière et économique qu’ils subissent est passée par là. Des enfants de toutes les couleurs jouent. La mine des adultes est souvent blême et grave mais certains d’entre eux ont des yeux vifs et combatifs. Nous allons découvrir au fil du film pourquoi. 

Ce documentaire de Silvia Munt se présente comme une analyse de cas spécifiques et généraux : comment aider ceux qui, à la fois, sont chômeurs et menacés d’expulsion de leur domicile puisque incapables de rembourser des prêts hypothécaires complaisamment dispensés par les banques, dans un contexte de crise nationale et mondiale ? Plusieurs cas de figures, couples, femmes seules avec enfants, parents garants d’une caution et entraînés par l’aide apportée aux enfants, sans-papiers… Le groupe, suivi pendant plus d’un an par la cinéaste, est vu dans la durée, avec les succès des uns, les échecs des autres. Dis comme ça… parait ennuyeux. Mais c’est passionnant, émouvant parce qu’on est vite en empathie avec les personnes qui ont accepté de témoigner, comme dans un film de ciné-réalité. On s’identifie, car cette situation est arrivée ailleurs à des millions de gens : aux Etats-Unis, comme en France. Et oui, c’est la première leçon de ce documentaire : ça n’arrive pas qu’aux autres. Comme les accidents ou les problèmes de santé ; l’auteur de ces lignes peut en témoigner… 

Il s’agit ici d’une description précise, sans concession, austère mais avec son poids d’humanité, posant la question de la désobéissance civile, avec l’occupation des biens confisqués par la banque ; occupation ici sans violence, et même dans l’ordre et dans une certaine convivialité. On y apprend surtout la solidarité. L’Humanité… la compassion, l’écoute et l’entraide. Qu’est-ce que la « crise » pour les plus « fragiles » (moi, vous, peut-être… un jour), parfois abandonnés de tous, dans un monde de plus en plus incertain et sans pitié ? Quel peut être le rôle du collectif dans un monde de plus en plus individualisé ? Comment passer de l’individu au citoyen ? Autant de sujets qui peuvent retenir l’attention des élèves par exemple, et des adultes en général. Des citoyens au moment où nous nous apprêtons à voter pour des hommes (et femmes) politiques censés nous représenter et défendre nos intérêts.

Notons que la Cour de Justice de l’Union européenne a censuré la loi espagnole sur les hypothèques désignée comme abusive et délictueuse. Une loi qui date de la dictature de Franco. Et rappelons que frappée de plein fouet par la crise économique de 2008, l’Espagne a vu son taux de chômage frôler les 27 % en 2012. Des centaines de milliers de personnes se sont alors retrouvées dans l’incapacité de rembourser leur crédit immobilier puis expulsées de leur logement, tout en étant endettées auprès de leur banque. A Barcelone, un collectif citoyen (PAH *) s’est alors mis en place pour proposer son aide à ces victimes, des hommes et des femmes de tous âges et de tous horizons. A travers l’entraide et la solidarité, ils vont reprendre espoir et surtout voir la vie et le monde sous un jour nouveau.

Sylvia Munt, la réalisatrice, est une actrice (née en 1957 à Barcelone), réalisatrice et scénariste. Déjà elle accumule des prix prestigieux : Coquille d’argent au Festival de San Sebastian en 1978 ; Prix Goya en 1991 dans« Alas de la mariposa », de Juanma Bajo Ulluo ; 2e Goya, en tant que réalisatrice pour « Lalia » en 1999. Lors d’un débat ou d’une assemblée, on aimerait lui poser de nombreuses questions :« Qu’est- ce qui vous a donné envie de faire un film sur la PAH et de vous intéresser à son fonctionnement ? Combien de temps a duré votre travail avec les membres du collectif ? Beaucoup de témoignages évoquent des drames intimes, comment votre présence a –t-elle été perçue …? Quelle a été votre méthode de tournage ? On aperçoit dans la scène d’occupation de la banque les employés et le directeur de l’agence. Pourquoi ne pas avoir recueilli leur point de vue ? Le film a –t-il été difficile à financer ? La prise de parole, comme acte à la fois politique et concret, est centrale dans le film. Comment l’avez-vous envisagée en tant que réalisatrice formée d’abord par le jeu d’acteur ? Comment le film a-t-il été accueilli lors de sa diffusion en Espagne ? Avez – vous le sentiment qu’un film peut contribuer à changer les choses ? Que sont devenues les personnes filmées ? Ada Colau, la fondatrice de la PAH , étant entre-temps devenue maire de Barcelone, est-ce que les choses ont changé ? En tout cas, nous savons pourquoi certains visages du film ont des étoiles dans les yeux. « Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent », disait Victor Hugo. Les intervenants de ce documentaire de résistance, très pédagogique et pas militant (c’est en filigrane, sans pathos) confessent ne pas regretter leur vie d’avant, finalement – celle dite normale – parce qu’ils se comportaient en zombis, dixit l’une des intervenantes. Il y a aussi ce travailleur indépendant (free-lance, suivez mon regard…) qui, les larmes aux yeux, dit avoir découvert la solidarité et l’amour des autres. Et on verse une petite larme avec lui avec l’envie d’embrasser son voisin, son prochain. Si si… Bref, l’union fait la force et « si, se puede ! » (si, c’est possible)… Podemos… Indignez-vous, quoi !

(*) La PAH est une plate-forme créée en 2009 à Barcelone pour un groupe d’activistes. Elle sera un modèle pour toute l’Espagne plongée dans la crise, comme « groupe citoyen non-partisan, décidé à agir pour réformer le cadre légal de recouvrement des dettes par les banques ». C’est une structure indépendante qui a des liens avec le « Mouvement des Indignés » ou « Mouvement 15 M » (en référence à la date de la création, mai 2011, avec l’occupation de La Puerta del sol à Madrid).

« AFECTADOS »(Rester debout)
Sortie nationale : le 16 novembre 2016.
Documentaire de Silvia Munt. 1 h 23. Version espagnole sous-titrée.
Distributeur : DISIDENZ film.
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Premier prix Documentaire. Semaine de Valladolid 2015 / DocLisboa 2015.

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