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« Papa » : Régis Jauffret entre réalité et fiction

Régis JauffretPar Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / Après la dédicace à ses enfants Marius et Fabiola, en épigraphe de son nouveau roman sobrement titré « Papa », Régis Jauffret annonce : « La réalité justifie la fiction ». Un nouveau roman, deux ans après « Microfictions 2018 » (prix Goncourt de la nouvelle) ; un nouveau livre qui revient à la grande littérature après quelques ouvrages qu’on qualifierait de « romenquête » (sur la mort d’un banquier en Suisse : « Sévère », 2010 ; sur la séquestration d’une enfant par son père en Autriche : « Claustria », 2012, ou encore sur l’affaire DSK dans un hôtel à New York : « La Ballade de Rikers Island », 2014). Jauffret, tenu pour le plus ténébreux des écrivains français, regarde d’un œil le 19 septembre 2018 un documentaire à la télé sur la police de Vichy pendant la Deuxième Guerre mondiale. Soudain, il voit « apparaître l’immeuble marseillais du 4, rue Marius-Jauffret où j’ai passé toute mon enfance. Ma mère a vécu là jusqu’à son départ en maison de retraite deux ans plus tôt. J’ai vidé son appartement fin décembre ». Et là, sur l’écran, il voit son « père sortant menotté entre deux gestapistes de l’immeuble marseillais ». Sur le visage du père, on voit la terreur ; sur celui des gestapistes, la joie… il semblerait que les images furent tournées en 1943- ou 1944. Réalité ? ou propagande ? d’autant qu’Alfred, père de Régis, n’a jamais évoqué cet épisode : fut-il résistant ? Collabo ? voire comédien pour une reconstitution de propagande ? … Alors, Régis Jauffret, « le conteur, le raconteur, l’inventeur de destinées », raconte ce père, homme ordinaire. Ou héros ? Le romancier nous glisse aussi qu’Alfred, son père, est devenu sourd et a été bourré, jusqu’à la fin de sa vie, de médicaments dont un neuroleptique utilisé par les Soviétiques «en psychiatrie punitive». Jauffret va même jusqu’à dire et écrire que, pour Alfred, « papa »est vraiment «un titre usurpé». « Il me semble soudain avoir été conçu par un personnage de roman », précise le romancier. Fait-il ici œuvre d’autofiction ? Invente-t-il tout ou partie ? Page 198 de ce « Papa » enthousiasmant, d’une pirouette diabolique, Jauffret lance : « Il faut toujours se méfier des romanciers. Quand le réel leur déplaît, ils le remplacent par une fiction »…

Papa
Auteur : Régis Jauffret
Editions : Seuil
Parution : 2 janvier 2020
Prix : 19 €

[bt_quote style="default" width="0"] A chaque fois qu’on se souvient le souvenir se modifie alors que la photo est une imbécile qui ne change jamais d’avis. Comme si le passé était du présent gelé, alors que notre passé est vivant tant que nous le sommes encore nous aussi. (…) A quoi servirait d’évoquer son père décédé une trentaine d’années plus tôt si c’était avec le projet cruel et prétentieux de vouloir le faire apparaître tel qu’il fut. Je veux l’apprivoiser, le poncer, passer l’estompe, l’astiquer comme une paire de vieux souliers jetée dans un grenier. (…) On ne peut pas en vouloir à quelqu’un de n’avoir pas existé. Alfred n’existait pas beaucoup, il existait à peine. Une dentelle de papa, quelques fils autour de vides, de manques, d’absences, de déceptions de ne trouver personne au lieu de quelqu’un.[/bt_quote]

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