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La guerre est une ruse : la Guerre d'Algérie n'est pas terminée

  • Écrit par : Guillaume Chérel

La guerre est une rusePar Guillaume Chérel - Lagrandeparade.com/ Au contraire d'un DOA (Pukhtu) qui à force de se prendre pour un styliste 2.0 finit par devenir illisible – comme ce fut le cas de Maurice G. Dantec – Frédéric Paulin a l'humilité de rester camouflé derrière son sujet. Il se définit comme un raconteur d'histoire et le prouve avec "La Guerre est une ruse", premier tome de ce qui est amené à devenir une trilogie, où il se sert de l'Histoire (ici l'Algérie... et donc la France) comme matière première d'un roman publié aux surprenantes (par sa qualité) éditions Agullo.
En 1992, après l'annulation des élections remportées par le Front islamique du salut (FIS), une poignée de généraux, les  « janviéristes », ont pris le pouvoir. L'état d'urgence est déclaré, les islamistes pourchassés ont pris les armes. Le pays sombre dans l'horreur. Tedj Benlazar, agent de la DGSE, suit de près les agissements du tout-puissant Département du renseignement militaire, le sinistre DRS qui tire toutes sortes de ficelles dans l'ombre. Alors qu'il assiste à l'interrogatoire musclé d'un terroriste, Tedj apprend l'existence de camps de concentration, sorte de Guantanamo où les islamistes seraient parqués dans des conditions inhumaines. En fouinant plus avant, il met au jour des liens contre-nature entre le DRS et les combattants du GIA. Quel jeu jouent donc les services secrets avec les terroristes ? Les massacres quotidiens sont-ils l'oeuvre des uns ou des autres ? Ou d'une instrumentalisation diabolique des seconds par les premiers ? Benlazar acquiert la certitude que les généraux sont prêts à tout pour se maintenir au pouvoir. Et la dernière phase de leur plan va commencer : exporter le chaos par-delà la Méditerranée, pour forcer la France à soutenir leur croisade anti-terroriste. Tedj parviendra-t-il à réunir assez de preuves pour convaincre sa hiérarchie avant que l'horreur ne s'invite à Paris ?
Frédéric Paulin a compris que ce qui vient de se passer à Strasbourg - comme à Toulouse avec Mohamed Merah, en 2012 - rappelle Khaled Kelkal, il y a plus de vingt ans déjà... Sans oublier Paris récemment et ce n'est sans doute malheureusement pas fini. N'ayez crainte, pas question ici de dévoiler la trame, ni de donner des réponses aux questions qu'il pose. Et que les algériens feraient bien de se poser... Car comme dans Homeland – inspirée d'une série Israélienne – l'intérêt est dans le suspense du double, voire triple jeu. Dans une interview au Blog du polar de Velda, Frédéric Paulin, prouve qu'il a compris ce qu'il se passait en Algérie : « (...)dans ce billard à quinze bandes, certains individus trouvent leur avantage. Les généraux algériens ont mis les mains dans la caisse et sont devenus richissimes. L'Algérie est assise sur un trésor de pétrole et de gaz... Or, l'Algérie est un pays riche (...). Tous ces jeunes chômeurs qu'on appelle les « hitistes » (dos au mur), c'est absolument tragique. C'est ubuesque : un type comme Bouteflika, l'actuel président, était déjà là en 1962 (indépendance de l'Algérie ndla). Il va même peut-être briguer un autre mandat bientôt. Ce type est vieux, malade, à moitié paralysé... C'est ça, l'Algérie. Je suis persuadé qu'au quai d'Orsay, on sait exactement où on en est, et on y trouve un intérêt. L'Algérie, c'est un pays qui ne change pas. Sauf avec l'arrivée de la Chine : les troubles qui ont lieu à Alger, dans les quartiers chinois, sont provoqués, entre autres, par le fait que les Chinois sont en train d'installer des commerces chinois en Algérie... L'Algérie d'aujourd'hui, c'est 60% de la population qui a moins de 18 ans, et un taux de chômage effroyable. Le terreau parfait pour l'épanouissement du terrorisme. ».
Répétons-le, Frédéric Paulin est non seulement un excellent raconteur d'histoires, qui se base sur la vraie histoire (comme Didier Daeninckx, entre autres, avec "Meurtres pour mémoire") mais un dialoguiste sans fioritures. On y est. On y croit. Ça sonne juste. Enfin, en bon journaliste (indépendant) qui se respecte (il est le fondateur du journal satirique rennais Le Clébard à sa mémère), il étaye ses propos, n'écrit pas pour en rien dire et faire des effets de plume. Et quand on sait qu'il a été professeur d'histoire et géographie en collège et lycée, on comprend pourquoi ses livres sont si précis. Et c'est justement parce qu'il y a peu de littérature, qui se regarde écrire, que c'est de la bonne littérature. Une littérature qui donne à voir autant qu'à réfléchir, sans être absconde. Frédéric Paulin avait publié aux éditions des Perséides "La Grande Déglingue", en 2009,  un premier roman sur la boucherie qu'a été la Première Guerre mondiale. Il s'est attaqué ensuite à une autre boucherie (animale) dans "La peste soit des mangeurs de viande", sorti à la Manufacture de livres. Il vit à Rennes, à proximité des Etonnants Voyageurs de Saint-Malo. Il n'a pas fini de nous faire bourlinguer en territoires hostiles.

La guerre est une ruse
Editions : Agullo Noir
Auteur : Frédéric Paulin
370 pages
Prix : 22€
Chez le même éditeur : « Prodiges et miracles », de Jo Meno, traduit de l'anglais par Morgane Saysana. « Une histoire chez les rednecks » (cous rouges), les bouseux américains, les gens de peu, avec leurs travers mais aussi leurs grandeurs.


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