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« Les Etrangers » de Didier Delome : chronique d’une enfance avortée

  • Écrit par : Valérie Morice

delomePar Valérie Morice - Lagrandeparade.com/ « Ma mère était gouine et je ne souhaite pas à mon pire ennemi d’endurer mon adolescence auprès d’Elle ». C’est par cette phrase lapidaire que débute « Les Etrangers », le deuxième roman de Didier Delome aux Editions Le Dilettante. On dit souvent que l’incipit (les premiers mots d’une œuvre littéraire) donne le ton et agit de façon déterminante sur le lecteur qui va soit se laisser embarquer soit douter. Ici il porte en trois mots clés (« gouine », « endurer », « Elle ») la tonalité du roman.

Ce « Elle » majuscule interpelle d’emblée et impose de façon naturelle une distance entre l’auteur et sa mère qu’il va justifier et étoffer de façon concrète tout au long de ce récit à plusieurs voix. L’élément déclencheur qui amène Didier Delome à se remémorer cette femme qu’il n’a jamais été en mesure d’appeler « maman », c’est le baptême de sa petite fille auquel il assiste à contrecoeur (n’étant pas féru des bondieuseries bien qu’adorant les édifices religieux), et que son fils a choisi comme une ultime provocation, d’appeler Françoise comme sa mère… Cette mère qu’il a méprisée et haïe, une « hyène tachetée » qui lui a manifesté durant six ans de cohabitation sous le même toit, une « indifférence hautaine et méprisante ».
Les vestiges de ce passé douloureux d’après-guerre (détail qui a son importance), vont refaire surface à travers la narration de Loulou de Montmartre, le gourou des nuits gays Parisiennes qui prit Françoise en affection dès leur rencontre en lui offrant un travail, entrelacée du témoignage de son père Bruno, et de Monique, cocotte bourgeoise, maitresse « jet-setteuse » de sa mère et de 20 ans son aînée.
Difficile de se construire une identité quand on est le fruit non désiré d’un père prolétaire au physique de « bellâtre insaisissable » et d’une mère androgyne, au charme indéfinissable, à la beauté incroyable, aux lèvres pulpeuses, au physique d’« hommasse mal sapée » qui s’adonna au plaisir saphique et qui fût convoitée par le «Tout-Gomorrhe ».
Au lendemain de la guerre, Paris est une fête. Tout ce microcosme mondain évolue au milieu des cabarets (« où le mélange inextricable des genres est de spécialité notoire »), des noctambules parisiens, des restaurants chics et bon genre, dépense sans compter à une époque où tout est à reconstruire, et sur laquelle planent encore les horreurs de la déportation (Monique est une juive Française qui a été elle-même traquée).
Cette mère, que l’on peut aisément comparer à la Folcoche d’Hervé Bazin (si l’on fait abstraction de ses orientations sexuelles et du fait que dans Vipère au Poing elle soit plutôt du genre à côtoyer les couvents que les lieux de perdition), voyage avec sa maîtresse, embarque l’auteur avec elle, mais les signes extérieurs de richesse prévalent sur les sentiments qui semblent lui faire défaut. Il avouera n’avoir jamais ni touché ni embrassé sa mère qui se destinera à « une vieillesse atroce » atteinte par la maladie d’Alzheimer. Le seul legs qu’elle lui aura laissé est probablement celui du goût de la lecture qui le conduira à l’écriture, lui permettant d’endosser l’uniforme de l’ « ouvrier de l’esprit » (sa définition d’un écrivain »).
Le ton du roman est incisif, cynique et corrosif. L’auteur nous offre ses pensées intimes parfois crues mais sans vulgarité, ponctuées d’un humour au vitriol. Didier Delome se met à nu, partage ses fêlures, « ses amertumes du passé » et « les médiocrités du présent » choisissant un vocabulaire affûté.

La pertinence du récit réside en cette alternance d’angles de vue subjectifs des personnes de classes sociales différentes qui ont côtoyé cette mère « étrangère » et dont la nature de l’affect qui les liait à "Elle" permet petits bouts par petits bouts de dresser le portrait d’une femme hors norme et atypique, chaque voix apportant sa pierre à l’édifice pour dépeindre un personnage haut en couleurs. Une lecture qui prend à la gorge et nous force à l’empathie.

[bt_quote style="default" width="0"]C’est avant sa naissance qu’on devrait connaître ses parents. Après, ils deviennent vite des étrangers, des proches qu’il nous faut tenir à distance, puis perdre sans recours.[/bt_quote]

Didier Delome a été galeriste. Après le journalisme, l’édition, la télévision et le théâtre, il sort en 2018 un premier roman autobiographique édité chez Le dilettante (« Jour de dèche ») dans lequel il se confie sur la dépression et le suicide (sujet également abordé dans « Les Etrangers »).

Les étrangers
Auteur : Didier Delome
Date de parution : 21/08/2019
Editeur : Editions Le Dilettante
256 pages
Prix : 18€


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